necro-poesie ---- 22 Aug 2023
 

Alferi et Cohen passent sous le train

 

Voilà qu’il est mort, que ce soit Pierre Alferi, que ce soit Daniel Cohen, voilà qu’il est mort que ce soit l’un, que ce soit l’autre, et moi vivant c’est presque comme si aucun d’eux n’avait existé. C’est honteux. Faut il avoir honte. Je n’ai jamais connu aucun économiste ni aucun écrivain, quand bien même aura t on été à deux doigts de se trouver quelque part. Qu’on se le figure. Posé sur une table qui ne m’appartenait pas, j’ai très clairement vu le livre de Pierre Alferi et je l’ai pris dans mes mains dans une intention de le lire, car je ne fume pas. Occuper ses mains, c’est comme d’être à deux doigts de faire démarer son esprit. Je me souviens des phrases de Pierre Alferi. C’est à dire que je me souviens de la forme des phrases dans les pages du livre de Pierre Alferi, car même si je suis entré une fois dans la maison de Maurice Nadeau c’était uniquement quand Maurice Nadeau était déjà mort, et quand bien même ces gens n’habitent pas un vague camping que ce soit au propre, que ce soit au figuré, cela ne signifie jamais qu’on puisse vraiment prendre possession des lieux comme ça, pour occuper ses mains. Il s’agissait de phrases courtes qui avaient l’air d’avoir été élimées methodiquement pour n’en garder que des parties sans qu’on puisse dire où le sens avait bien pu être coupé tant il est vrai que la poésie c’est pas de la chirurgie, avec des radios, des plans, des protocoles et tout. La poésie, c’est de la tarte plutôt. Soit tu la manges soit c’est pas de la tarte. Alors je crois que je m’étais dit que nous devrions sans doute, car nous étions plusieurs à cette époque, à essayer de nous figurer par quels chemins il eut fallu aller en vu d’y arriver vraiment sans se la raconter non plus. Comme quoi j’ai fait aucune école, j’ai l’orthographe des ortolans et la face des mièvres du lointain des centres des villes mais j’aurais lu Pierre Alferi, supposément, ce livre en particulier, trouvé sur une table, je pourrais me la raconter, même si je l’ai même pas lu, pas jusqu’au bout, pas même cinquante pages, peut - être trente, peut-être vingt. Et maintenant il est mort, en même temps que Daniel Cohen plus ou moins. Je m’en tiens au journal pour le dire. C’est un choc. N’avoir été que si peu partie de cette fête des esprits alors que j’étais à deux doigts ou deux rues. Peut être fallait il mieux connaitre le nom des rues ? Le cinquième arrondissemement de Paris comporte deux rues, à ce qu’il semble, mais à chaque fois qu’on y pense, on pense à la mauvaise. Pourtant avec un peu de ténacité et moins de molesse, sans doute est il encore possible de recomposer une lecture complète de la poésie inhérente aux esprits en se figurant ce que cela doit faire d’en être, habitant des murs qui comptent, des murs qui se comptent, des murs qui comptent sur ceux qui comptent pour demeurer et demeurer ainsi de la plus digne de manière, tout rempli de poésie et d’esprit. Pour vivre il faut habiter, tous les fantômes le savent. N’hante pas qui veut.
Alors en somme, reposant le livre, il m’apparaissait qu’il devait me manquer des ingrédients. Dans la poésie, on mange les ingrédients avant de cuire le gâteau, sinon le gateau gonfle trop et cela de va pas. C’était pas de la tarte, je me disais. Ou c’est plutôt de la tarte ? Si seulement j’avais été ou bien l’un ou bien l’autre. Ou bien dedans ou bien l’autre. Plutôt qu’une approximation. Un intermédiaire. Pas tout à fait in, pas tout à fait inapte, pas tout à fait apte. Doit on dire inapte ou une aphte ? Purée que c’est compliqué. Et qu’en aurait pensé Daniel Cohen ? Lui aussi, même tarif, il ne m’a jamais été présenté. Un choc. Une honte. Mais la déflagration honteuse est moins grande. Certes, qu’il ne m’ait pas appelé, qu’il ne m’ait pas invoqué …. comprenne qui pourra, mais c’était un économiste. Qui peut en vouloir aux économistes ? Il occupent apparemment le terrain de l’esprit quand tout le monde a fui. Ils tiennent la baraque du raisonnement, comme ils peuvent, avec les cinq pilliers qui articulent leur connaissance. On peut les inviter à la télévision car ils disent des choses concrètes basé sur des pilliers de la connaissance. Axés sur plusieurs axes et polarisés sur différents pôles, on peut croire qu’ils savent de quoi ils parlent. C’est du solide. Kapital, Hétat, Banke, Hantrepriz et bain d’oeuvre sont sur un bateau, personne ne va jamais tomber à l’eau. C’est pas comme ces gens des sciences humaines et leur manie de nous faire croire que ce sont ceux qui vivent, qui font et qui pensent ce qu’ils font et pensent et vivent qui ont des idées qui forment la marche des choses, plutôt que la marche des choses elle même. T’es pas un peu sourd du bulbe, non, à pas voir que c’est l’électricité qui fait de la lumière et pas la lumière qui fait de la lumière ? Quoi qu’il en soit sur ce débat non télévisé je n’ai pas non plus été mendiant sur le bon trottoir de cet arrondissement où Daniel Cohen aura, en vain, insufflé le savoir. Je reste comme deux ronds de flan devant la liste des livres authentiquement de gauche qu’il aura écrit pour des raisons qui appartiennent à ceux qui s’appartiennent et je pleure de chagrin.

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