necro-poesie ---- 29 Aug 2023
 

Le juste prix c’est la vie

 

Quand quelqu’un qui ne nous dit rien s’avise de disparaître et que le tourbillon provoqué par le choc de sa réputation à la surface des discours du jour nous rappelle pourtant le son pénible d’un robinet qui fuit, alors il faut s’en préoccuper. Aucun robinet ne fuit sans raison dans la vie ou dans les rêves. Et quoi qu’il en soit tout le monde est obligé de se lever que ce soit pour tourner ce satané robinet que ce soit pour couper le sifflet à un air connu. Debout, en slip, suant, sorti de force du milieu de la chose où nous étions, nous voilà devant l’évidence : un américain iconique est mort et il faut en faire quelque chose. La nouvelle est arrivé sur mon téléphone. Bob Barker est mort et maintenant ce sera comme ça. Il ne mourra pas une seconde fois, le journal a imprimé la nouvelle et il a trouvé un stagiaire pour ne pas louper l’occasion. Le cancer du fleuriste en face du journal ? Rien à cirer. Même si c’est le père du stagiaire ? rien à cirer. Même s’il a tenu la rubrique des chiens écrasés quand il était lui même stagiaire ? N’insistez pas ou bien je vous confie la rubrique. Donc voilà Bob Barker, c’est l’homme qui représente tout ce qui importe sur cette terre. Premièrement il a permis aux gens qui rentraient de leur shopping  d’étayer leur réflexion sur ce shopping. Autrefois on était obligé de montrer des lions qui dévorent des métèques pour distraire le monde de ce que cela voulait dire d’être au monde, c’est à dire être toujours à deux doigts de clamser sous le fil des métèques et maintenant on montre des robots mixeurs à ceux qui ne craignent plus rien depuis qu’on peut acheter des robots mixeurs. Comme ne plus rien craindre manque de sel, Bob Barker était celui qui se tenait là entre l’homme et le produit, celui qui, désignant le consommateur sans idée, assis paresseusement sur des certitudes au sujet du robot mixeur comme objet particulier en sa possession, lui montrait dans le ciel des idées la variété des possibles robots mixeurs et ce faisant l’idée même du vrai robot mixeur, c’est à dire le robot mixeur dont l’apparence et la nature suffisait en eux mêmes pour connaître la valeur au monde ( américain) c’est à dire : son prix. Le juste prix, c’est le platonisme révélé aux américains. Je n’ ai pour ma part jamais connu Socrate et Platon n’a jamais été pour moi qu’un présentateur à la télévision, en quoi je sais gré à Bob Barker d’en avoir fourni  l’occasion, même si je n’ai  en réalité jamais vu Bob non plus à la télévision, seulement des épigones hexagonaux, ce qui revient au même à la fin des fins, dans le ciel des idées. Les présentateurs changent mais je demeure.

Deuxièmement Bob a fait vivre ce que la philosophie laisse derrière elle comme matériau inerte: les bêtes. La perfection politique ayant été atteinte avec l’établissement du juste prix pour tous les hommes en quête de sens, restait à réinvestir les fortunes acquises comme passeur du prix juste et de la paix inhérente au commerce des gens qui croient au prix juste, dans la défense des animaux opprimés. Tant et si bien que des éléphants au bout du rouleau ont pris l’avion pour se rendre en de justes demeures, tandis que Bob sirotait des justes drinks, tout juste au bord de sa piscine, son coeur plein de justesse et nous, nous voilà seuls, sans prix, sans juste, sans éléphants, en sueur, fiéveux, seul, abandonnés de Bob, pauvre comme Job, coincé dans la pénombre, avec pour seul horizon au loin, dans une pièce dont on a perdu la clé, le goutte à goutte d’un robinet.

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