necro-poésie
 

François Weyergans est mort

 

Il est mort, François Weyergans mais comme vous êtes comme moi un ignorant, vous ne sauriez dire pourquoi il est né, à quelles fins il a vécu, dans quelle mesure sa mort devrait occuper une place dans votre coeur d'ignorant, combien de portes les livres qu'il a écrit pourraient ils caler. Vous ne savez pour ainsi dire rien. Par chance, voilà qu'il est mort, ce qui pour un vivant notable, procure un certain prestige. C'est donc votre chance, il faut vite la saisir. On n'a pas tous les jours la chance d'apprendre la mort de quelqu'un encore en mesure de vous tendre encore la main depuis son tombeau. C'est le genre qui vous tend la main, une dernière fois, pour tenter de vous détourner de ce que vous auriez pu faire d'inutile pendant le temps où vous ne l'auriez pas lu. Il se trouve en effet que François Weyergans était écrivain. La radio l'a dit. La télévision aussi. Internet ne s'en est pas privé. C'était il y a deux jours et maintenant tout le monde s'est tu. François Weyergans est différent de Johnny sous cet aspect. Il ne suffit pas de pincer la lyre pour durer comme les guitares, comme disait peut-être François Weyergans.

Alors que faire de la mort de François Weyergans ? Ne vous demontez pas, cela arrive à tout le monde de se trouver soudain nez à nez avec un mort qui gêne. Et puis vous n'êtes pas obligé de le lire non plus. Il vous suffira sans doute d'étoffer quelque peu les meilleurs effets de sens qui proviennent de la littérature afin de profiter de l'aura sans souffrir des inconvénients. Parmi les inconvénients il y a ce temps passé à lire alors que vous pourriez faire n'importe quoi d'utile pour le monde qui vous entoure ou pour vous. Parmi les effets de sens, il y a ce que François Weyergans devait avoir d'assez spécial pour que la radio et la télévision en parle. Les journaux soudain s'ouvrent sur une description en trois points au sujet du defunt. Ne négligez pas ces trois points, c'est mon conseil, car s'agissant d'un écrivain c'est l'écume de la littérature ou pour le dire autrement c'est ce qu'il reste de léger tout le pesant a été écrit. Imaginons que François Weyergans ait décrit pendant toute sa vie ses impressions au sujet du passage fugace du temps au travers de ses veines, eh bien il n'en demeure pas moins que François Weyergans aura été non pas un grand témoin du passage du temps dans ses veines mais premièrement un homme reçu à l'académie Française à la place d'Alain Robbe-Grillet, deuxièment le seul écrivain connu qui aurait obtenu à la fois le prix Kong Kour et le prix Renaud d'O, et troisio un styliste. Voilà qui suffit largement pour faire tourner votre moulin. Le prestige d'Alain Robbe-Grillet étant ce qu'il est, vous pouvez murir cette phrase un moment et penser à la chaleur réconfortante d'Alain Robbe-Grillet sur le dos de François Weyergans quand de dernier aura glissé ses frêles coudes tout contre le fauteuil du premier. Et le saviez vous ? Vous pourriez être académicien vous aussi. En effet la règle prévoit que chaque candidat peut le devenir à condition d'aller frapper à la porte des titulaires, assez fort ( car ils sont tous moitiés sourds à forte d'être presque morts ) cela en vue d'obtenir une cooptation. En expliquant par exemple que vous connaissez deux ou trois choses au sujet de François Weyergans vous avez des chances de manger gratis dans les meilleurs restaurants de la capitale de la France. Vous pourriez ajouter que n'ayant pas réussi à devenir vous même François Weyergans vous vous seriez contenté d'être académicien, ce qui demontrerait votre bonne connaissance du dossier, comme on dit, sans pour autant n'avoir jamais lu une ligne de lui, ce qui parait souhaitable, comme j'ai dit plus haut. Et puis vous pourriez ajouter encore que, dans ces dispositions où vous vous trouvez, il vous semble qu'après Alain Robbe Grillet, qui avait en quelque sorte ouvert le sillon de l'absurde en devenant académicien, vous poursuivriez le trait de François Weyergans en devenant présentement le premier académicien coopté par un académicien mort. C'est pas certain que ça marche mais voilà du moins un bon moyen d'occuper l'espace mental issue de la mort de François Weyergans. Et puis si ça ne marche pas, il y a encore le deuxième point. Gagner à la fois un prix littéraire proéminent et gagner un autre prix littéraire proéminent, c'est de la bonne matière à conjectures littéraires. Vous non plus vous ne savez rien au sujet du proéminent rapporté aux prix donnés à des textes écrits par des hommes tels que François Weyergans. Sur les moeurs du chameau, comparativement à ceux du dromadaire, vous ne savez rien non plus, en dehors de ce phénomène fondammental issu du nombre de bosses. En somme vous pourriez dessiner un chameau et un dromadaire sans que personne ne doute qu'il s'agit de l'un ou de l'autre, en raison des bosses. Rapporté à François Weyergans, vous pourriez donc vous le dessiner pareillement et vos amis, si vous en avez, s'ils avaient le temps de regarder le dessin, s'il avaient le temps de se souvenir plus de deux jours de la mort de François Weyergans telle que décrite par la radio et la télévision, ils pourraient dire que vous avez donc dessiné le portrait de François Weyergans. Tant de réjouissances ! Reste à vous taper une bonne tranche au sujet de François Weyergans considéré comme un styliste. C'est quoi ça un styliste ? C'est pas un mec qui monte sur une colonne pour démontrer des trucs ? Non, ça c'est un stylite. Ou alors un styliste mais nul en orthographe. C'est en réalité quelqu'un qui habille les mots de telles manière à ce qu'ils soient plus faciles à porter, tout en étant élégants Partant de cette information tue généralement par la radio, vous pourrez aisément vous figurer le style de stylisme de François Weyergans.

Par exemple, disons que vous présentez au fauteuil d'Alain Robbe - Grillet et que pour cela vous vous rendez sur le perron d'une maison occupée par un académicien avec l'intention de dire que vous êtes le fantôme de Alain Robbe - Grillet déguisé en fantôme de François Weyergans. Vous essayez pour cela d'avoir deux bosses, pour lever toute équivoque. Mais en plus, vous aller faire du stylisme. C'est là que ça devient littéraire. Faut faire super gaffe.

Faut pas dire :

  • Je viens pour occuper la place du chameau, manger aux meilleures tables de Paris, briller par mon absence et faire croire que j'écris des livres quand je dors.

Faut dire :

Sur son char il monte avecque adresse,
Ses superbes chevaux dont il sait la vitesse,

De leurs hennissements font retentir les airs,
Et partant de la main devancent les éclairs ;

Je cours à toute bride, et le suis avec peine,
Il se tourne cent fois vers les murs de Trézène,

Il s’éloigne à regret d’un rivage si cher,
Et va plus lentement sur le bord de la mer.

Dans un calme profond la mer ensevelie,
Ainsi qu’un vaste étang paraissait endormie,

Et le Zéphyr à peine en ce calme si beau
Frisait légèrement la surface de l’eau,

Quand de son propre sein s’élève un prompt orage,
L’eau s’enfle à gros bouillons menaçant le rivage,

L’un sur l’autre entassés, les flots audacieux
Vont braver en grondant la foudre dans les cieux ;

Une montagne d’eaux s’élançant vers le sable,
Roule, s’ouvre, et vomit un monstre épouvantable,

Sa forme est d’un taureau, ses yeux et ses naseaux
Répandent un déluge et des flammes et d’eaux,

De ses longs beuglements les rochers retentissent,
Jusqu’au fonds des forêts les cavernes gémissent,

Dans la vague écumante il nage en bondissant,
Et le flot irrité le suit en mugissant.

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