Doit on dire la vérité chez le coiffeur ou la vérité au coiffeur ?
Quand j'étais jeune et encore français et je voulais savoir ce qui agitait les cœurs populaires je faisais semblant de ne pas voir les couvertures des magazines sur les tables des coiffeurs. Et j'apprenais de ces choses des plus extravagantes et sur les reines et sur les rois en carton. Cela permettait de conserver une image assez nette de la distance entre les gens et du discours sur cette distance. Un discours commun sur l'absence de commun c'est déjà la preuve d'un rapport, me disais je. Je voyais les vieilles discourir dans les parcs sur un changement de coiffure intervenu dans un théâtre d'ombre américain qui n'avait strictement aucun rapport avec la vie de femmes européennes nées avant la guerre. Peu importe le flacon pourvu qu'on ait le livresque, non ?
Puis je fus assez pauvre et indifférent au reste du troupeau pour être un jeune français un peu snob aux sommet duquel le mariage du miroir sale et de la tondeuse pas chère firent taire les altesses douteuses des magazines entre temps remplacées par des vedettes de la télé réalité. Quel stupéfiant changement intervenu dans mon dos tandis que je me rasai le cou. Un acteur affirma à cette époque qu'il y avait pas grande différence entre l'esthétique de Rohmer et ce défilé incessant de propos mollement scenarisés. Cette information me plut bien car je pouvais dès lors regarder des films de Rohmer sans éprouver de honte : moi aussi je me laisse aller au voyeurisme, moi aussi je regarde les manières de faire des gens de droite, leur préoccupations morales dégagées des questions d'argent et à chacun son esthétique populo, à chacun l'observation critique d'un monde qui n'est pas le sien, mais un monde encore observable et donc, à force, un monde qui fini par devenir le sien. Donc aucun problème les amis, on va dire que les temps changent mais que rien ne change tout à fait. Tout cela ne paraissait qu'une nouvelle forme de déplacement critique, sans discontinuer les manières villageoises latines.
Puis je ne fus plus jeune du tout et pour connaître les discours populaires sans coiffeur, sans revue People, sans vieilles dames d'avant guerre, sans les incunables de la télé-réalité (définition: une émission en continu où le seul talent requis c'est de parler et être), restait les réseaux sociaux sur internet.
Et là, que penser ? Est il simplement possible de penser quelque chose quand tout est ainsi atomisé ? On peut toujours dire qu'il s'agit du café du commerce branché sur d'immenses haut parleurs mais ça n'a pas l'air du suffire. Cela fonctionne comme si en plus des caractéristiques du café du commerce classique ( entre soi et licence 4) chaque poivreau pouvait se détacher de son camarade de palinodie épaisse pour, à la première contrariété, aller vers la machine à sous du café et tirer sur le manche jusqu'à temps que ses plus folles ambitions dialectiques trouve exacte monture. Et chacun de tirer ainsi tout seul sur des manches de machine à sous dans un défilé infini de café du commerce sans que jamais personne ne parle à personne mais où chacun est persuadé de vivre en société. Peut-être l'image de la machine à sous n'est elle pas la bonne. Le bidet se porte candidat: chacun pense boire des verres conviviaux à discuter des choses du monde le nez dans des bidets, tandis que les américains examinent en parallèle les anus offerts pour en tirer de savantes conséquences sur l'orientation idéale du bidet et sur les musiques qui devraient en provenir.