la-science-fi-pour-les-poules ---- 24 Aug 2020
 

Au moment du décolage

 

Et là il se retourne et demande à l'autre s'il ne voudrait pas lâcher le rebord du toit de la fusée et bien daigner avancer ses fesses dans le sens de l'histoire. Ils sont tous les deux en haut d'un tas de fer fumant de toutes parts et on les distingue que ce soit depuis le bas du tas de ferrailles , que ce soit depuis moults salons connectés à mille caméras. La plupart des hommes blancs ou riches ont actuellement un moment de contemplation distinct des autres et croquent des chips en attendant que les plus dignes représentant des hommes blancs ou riches marquent un point dans le ciel au dessus de la tête de toutes ces pauvres femmes qui ne comprennent rien au sport. Mais ca ne va pas fort la haut on dirait. Crispé à la porte de la capsule dans la position du crapaud neurasthenique, on a comme un coup de mou. C'est pour un sondage réitère l'autre, c'est pour savoir si tu comptes rester planter là et poser un lapin à l'humanité au lieu d'un pied devant toi.

Tu vois, répond le crapeau en s'allumant une cigarette d'un geste ample allant du replis de la visière de son casque entre ouvert à la poche extérieure de sa combinaison d'où clique un briquet tempête et s'élève une prémonitoire flamme, tu vois, rien que ta blague à deux dollars sur le petit pas  pour je sais pas quoi qui précède le grand pas pour je sais pas qui, elle témoigne bien de la misère dans laquelle cette entreprise nous a durablement plongé. Tétanisé à la vue du briquet, monsieur blague ressent soudain en chacun des complexes tuyaux qui le composent un grand vide cosmique opérer un violent changement de pression, il va défaillir, il n'en mène pas large, il se voit déjà se déployer dans le ciel de la moite Floride sous forme moléculaire, il voit même défiler devant ses yeux très peu lettrés toute la série des sketchs de ses dessins animés préférés, entre la souris qui commence la dégustation d'une bombe glacée au diamètre opposé de laquelle scintille une mèche incandescente ou bien le chien au grand galop interrompu dans le vide profond qui succède immédiatement le bord d'une falaise, tout soudain devient liquide et irréel.

Tu me fatigues, poursuis l'autre, avec ta gueule lisse qui fonctionne, tout, tout me fatigue, chez toi et chez tous les gens qui nous pressent de fonctionner à leur image, leur image lisse, celle qu'ils ont dans leur petite têtes mathématiques avec nous deux, les pauvres plantins qui flottons au milieu de leurs appareils qui flottent, et tout leur petit théâtre en apesanteur qui retombe à plat au moindre dialogue. Ne me demande pas ce que j'ai car tu ne pourras pas comprendre avec ton air de limande en scaphandre. Je ne monterai pas dans cette merde immonde pas plus que tu ne monteras toi dans ton paradis frelaté. Tu vas y rester dans tous les sens du terme, y rester bien en bas sur ton bout de terre et y pourrir tranquillement sans avoir à dicter sur ton lit de mort tes mémoires à une terrienne enamourée par ton prestige de visiteur des étoiles. Il n'y aura pas de chapitre un mon enfance comment c'est t'y que je voulions voler dans les avions, chapitre deux comment z'etions fiers de passer à la télé comme membre illustre de la famille des passionnés qu'ils ont des images du cosmos plein la tête et comment que je sais nommer et les lunes et les constellations, ni de chapitre sur la science prodigieuse que tu aurais faite la tête en bas avec des liquides fluorescents et des grains de sable, ni sur l'avancée de l'homme, ni sur l'amour de ta femme et de tes enfants tous aussi vains qu'américains, et quand tu as reçu un message d'eux alors que tu voyageais vers Mars à bord d'une fusée sponsorisée par une marque de bagnole, et quand tu as pensé ceci et pensé cela, non rien car ici et maintenant cela s'arrête.

Effectivement tout ne fut plus dès lors que grillade et côtelettes assaisonnés de boulons et de tôles, tout cela envoyé dans toutes les directions permises par la géométrie en trois dimensions sous les yeux en forme d'oignons blancs des ingénieurs en trajectoires et en beaux panaches de gaz chauds bien dessinés dans le ciel.

Peut on maintenant commencer une histoire ?

Arriverait donc une autre fusée à peu près au même endroit quelques années plus tard un peu avant l'explosion de l'étoile la plus proche. Tout autour à perte de vue des déserts rosâtres traversés de vents intenses mais sinon pas un chat, autrement dit personne pour se répandre en élégies. En quoi il convient de rester bref sur le sujet. Des déserts rosâtres donc. Rien qui pousse. Rien qui tire. Du vents, tout au plus. Difficile de définir le vent quand rien ne bascule à son passage, pas même un petit brin d'herbe, rien. Il y a des reflets rosâtres cependant et depuis l'espace cette planète est d'un aspect vaguement rouge. Je veux dire qu'en admettant que depuis l'espace on fasse attention à ce morceau de matières agglomérées et que l'on vienne d'un coin où il y a des vagues de quelque chose alors on pourrait dire que c'est une planète d'un aspect vaguement rouge. Il se trouve qu'aujourd'hui c'est le cas. Les deux qui se posent aujourd'hui à cet endroit viennent d'un coin gazeux où le temps est défini par ce qui chez nous, si vous avez un chez vous pour regarder par exemple les fusées exploser au décollage en direct à la télé pendant que votre femme pleure dans sa chambre, constitue une sorte de cocktail stratifié : il y a une strate de bleu, une strate de rouge tendant vers le jaune, probablement de la pêche ou du pamplemousse, et des cristaux de sucre qui scintillent au milieu d'une eau pétillante et cela ondule constamment, chez ces gens là, ce qui leur permet de mesurer le temps de manière imagée et en plus leur ouvre tout naturellement droit à l'usage du mot 'vaguement'. Alors ces deux là disent qu'ils viennent vaguement d'atterrir quelque part ou qu'ils viennent d'atterrir sur un terrain vague. Cela signifie pour eux qu'ils ont pris le temps de réaliser cela. Ils sont partis à la plage, si l'on veut. Tout, autour d'eux, fait office de vague et ils sont venus dans l'intention de prendre un peu de bon temps, c'est à dire dans notre langue morte, siroter complaisamment des cocktails bariolés.

Voilà ces deux cafards transgalactique qui installent au bas de leur fusée deux chaises dite transat' ( le reste du mot est tombé à l'eau) et tournant quelque peu la tête en stridulant légèrement engagent une sieste.

La sieste dure.

Pourquoi feraient ils de longues déclarations ? Ils passaient par là, et considérant leur faible poids, ont résolu depuis longtemps les problèmes de navigations rapides dans les différents univers habités ou cafardement habitables. Ils se mettent pas à déblatérer lorsqu'ils ont effectué quelques bonds jusqu'à la surface du monde puis jusqu'au transat', plutôt ils pioncent un coup. Les mondes cafardement habitable sont en effet aux cafard ce que furent les aires d'autoroute lorsqu'il y avait des masses de cons en transhumance.

Les voilà qui lèvent une antenne.

  • comment tu dis qu'elle s'appelle cette aire ?
  • aire de Houston, apparemment
  • ça te rappelle pas un truc ?
  • euh non, pas vraiment
  • mais si tu sais, on était venu il y a quelques millions d'années il paraît, mais je sais plus pourquoi exactement
  • c'était pas ces singes là qui voulaient envoyer des chiens dans des fusées ?
  • ah oui voilà ça me revient tout à fait, des fusées qui faisaient rire, avec des combustibles dedans, qu'ils faisaient exploser pour avancer
  • mais pourquoi on était allé voir ?
  • c'était pas pour se marrer je crois. Une mission humanitaire. Je sais plus qui avait découvert que ces singes là, au moment où ils faisaient marrer tous le monde avec leurs fusées, avaient aussi inventé des molécules toxiques pour des cousins primitifs qui avaient pris l'habitude de vivre dans les mêmes trous que les singes en question. Ils pensaient que ça allait bien comme ça. Les singes vivent dans les grandes largeurs des trous et nous dans les petits, se montrant à peine, plutôt la nuit tombée. À la limite un petit coucou de temps en temps depuis le fond d'un évier mais vraiment pas de quoi fouetter une chèvre. Mais ça n'allait pas à ces singes là. Ils voulait exterminer les cousins. Tous. On ne pouvait pas leur faire grief d'ignorer que nous contrôlions déjà la moitié de la galaxie, mais enfin ce n'était pas bien courtois.
  • et finalement on a fait quelque chose ?
  • non, pas vraiment. C'était pas les plus futés des cousins. Il y avait un plan diplomatique qui prévoyait d'envoyer quelques émissaires mais les premiers contacts n'avaient rien donné.
  • comment ça ?
  • ben tu connais les singes. On avait bien vu qu'ils peinaient à prendre au sérieux tout ce qui était plus petit qu'eux, et bien repéré ils voyaient des soucoupes volantes partout et des armes à combustion sur le modèle de leur fusées, tout ça parce qu'ils s'était mis en tête que le feu était non seulement leur découverte mais La découverte universelle...
  • ah les cons...
  • tu l'as dit et donc bref finalement on s'était dit que c'était pas la peine de sortir de sous un tapis dans une des cabanes de leur chefferie avec des messages amplifiés et des menaces quelconques et qu'il valait encore mieux les exterminer eux, les nuisibles.
  • alors on avait un plan d'extermination ?
  • oui, le truc habituel. On faisait entrer quelques milliers de nos parachutistes dans les anus de leur chefferies, créant un chaos tels qu'au bout d'un moment ils s'exterminaient eux même. Mais on a laissé tombé.
  • parce que les cousins étaient un peu débiles ?
  • un peu ça un peu le manque de budget et un peu aussi le problème avec les singes qui de toutes les manières, avec leur manie combustible, n'allaient nulle part, comme tu peux voir.

Et l'on voit ensuite quelque chose comme un tube de rouge à lèvres volant percer les nuées, survoler rapidement les terres où se trouvait la Grèce, Socrate et tout le tralala, puis disparaître. Aujourd'hui encore, c'est aujourd'hui encore.

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