reponse à tout ---- 09 May 2022
 

Peut on savoir ce qu'est la littérature comparée avec Julio Iglesias ?

 

Tout le monde n'ignore pas qu'un des plus grands chanteurs de tous les temps était espagnol et se nommait Julio Iglesias. Son apport à la musique n'avait d'égal que son propre apport à la musique. C'est à cela qu'on reconnaît les œuvres véritables, au fait qu'elles ne peuvent être vraies qu'en tant qu'elles ne peuvent pas ne pas être là, tout en demeurant parfaitement inutiles, comme toutes les autres choses de ce monde passager. Le paradoxe n'est pas de moi. Cette phrase doit tout au passage de l'être et le néant de Jean Paul Sartre qui est entièrement consacré au ski.

Mais il n'est pas encore mort, Julio, vous pouvez encore passer quelques coups de fil pour qu'il livre quelques éclaircissements sur les mystères profonds de son œuvre.

Parmi ces mystères, il y a la célèbre chanson Je n'ai pas changé transmutée dans la langue de Maradona en un bien énigmatique No vengo ni voy.

Mettons que tout explose ici et que seulement un disque est éjecté du tourne disque terrestre et que ce disque n'est autre que celui de Julio et que des intelligences cosmiques après moult efforts techniques pour passer le disque sur une machine inventée à cette fin et moult efforts intellectuels pour comprendre la différence entre parler et se taire chez les singes de la terre puis de nouveaux claquages de méninges pour se figurer que chanter n'est pas parler et que la photo du singe sur la pochette du disque correspond à la chanson qui passe par le système oropharyngé du singe dépeint avant d'être gravé à l'intérieur de disque pour occuper les cervelles moyennes des autres singes puis qu'en fin de compte d'autres spécialistes finiraient pas comprendre le sens de la chanson et se demanderaient à quel fin cette chanson avait du sens pour quelqu'un, mettons maintenant que le disque comporte les deux versions espagnoles et française de la chanson, eh bien ces intelligences ne sont pas sorties de l'auberge du cosmos, car elle n'ont rien à voir l'une avec l'autre, ces versions.

Heureusement, j'arrive. Je ne comprends pas non plus mais je pense pouvoir aider un peu.

C'est un problème assurément assez grave pour que l'on s'y penche. La terre ne compte pas beaucoup de chanteurs aussi extraordinaires que Julio Iglesias. La plupart des chanteurs sont des êtres superficiels et inconstant alors que Julio a toujours été superficiel et constant. La même tête, les mêmes gestes, la même chemise blanche, le même micro, la même voix. De quelque côté que l'on tourne Julio Iglesias il demeure une surface constante. C'est un astre à sa manière pâle. Alors quand on découvre cette dissymétrie sémantique terrible entre No vengo ni voy et Je n'ai pas changé, il faut s'inquiéter. Il y a sûrement là une des clés de l’oeuvre.

On a le droit de citer l'intégralité du texte de Shakespeare ou de Cervantès mais aucune de ses chansons, à Julio Iglesias. C'est sans doute un des aspects qui rend d'autant plus tentant l'étude de l'œuvre de Julio Iglesias: en tout cas il va falloir livrer l'esprit plutôt que la lettre pour ne pas tomber ici sous le coup de la censure.

Dans la version française, il s'agit d'une élégie. Le chanteur s'adresse à une fille qui lui souriait à moitié, mais pas complètement, ce qu'on comprend rapidement car le chanteur explique qu'il lui écrivait des poèmes un peu moisis dont les rimes et les sens étaient terriblement épais, constitués c'est à dire d'ingrédients très implicites sur le sujet de l'amour, tandis que dans le même temps la fille qui sourit à moitié avec ses parfums légers voulait surtout aller en voyage à Corfou pour faire passer, semble t il, l'ennui que lui procurait les dimanches inventés par le poète sans un rond qui parle de partir en Amérique alors qu'il suffirait d'aller traîner comme tout le monde sur les terrasses de Corfou pour s'arsouiller et faire ainsi passer l'ennui que procure les expositions prolongées au soleil de Corfou allongé avec les autres steaks et aussi les coïts un peu automatiques dans la pénombre lourde d'une chambre d'hôtel aux moquettes oranges, lequel poète, devenu explicite dans son souvenir, revoyant visiblement la fille, décrète qu'elle n'a pas changé non plus, qu'elle continue avec ses moitiés de sourires ambiguës alors que lui, il lui explique qu'il aime toujours cette façon de faire, qu'il a perdu son temps jusqu'à cette revoyure, avec ce sous entendu qu'il suffirait finalement de recommencer, puisque personne n'a changé, que c'était possible avant, qu'il doit donc y avoir moyen après, considérant également que si lui, Julio, avec tout le blé qu'il s'est fait entre temps, il lui dit à elle, la veille indécise à qui il peut maintenant payer des voyages n'importe où, qu'il est exactement le même jeune homme dans ses manières de considérer les choses, c'est donc bien que ses intentions sont toujours aussi implicites et pures, qu'il ne cherche pas à se taper une ex en poussant devant elle des wagons d'or, seulement à revivre comme font les poètes et les petits sourires et les parfums légers.

Il s'agit donc bien d'un poème, rédigé par un poète, en vue d'exercer la poésie sous forme de crème que l'on peut appliquer à même la peau des jeunes filles et des moins jeunes filles, et les masser ensuite pour qu'elles succombent finalement au charme latino des phrases un peu floues mais qui veulent dire beaucoup. Maintenant si nous plongeons dans la version espagnole, c'est tout un monde plus intellectuel qui se déploie. Disons en aparté qu’on se méprend assez souvent au sujet de l'Espagne au prétexte qu'il y a des plages et des nanas. Il y a aussi le Greco, Goya et la noirceur inaltérable qui animent l'humeur des péninsulés. Ici, dans Ni Vengo Ni voy, c'est l'autobus de la noirceur qui bascule dans le ravin du désespoir et effectue le nombre de tonneaux strictement nécessaires à sa perte, sèchement, à l'espagnole, on imagine, dans un nuage de poussière sans retour et sans commentaire encore possible. Qu'on se figure cette chanson dans son éternité sous copyright qui évacue directement toute référence à l'amour, à une relation quelconque pour se consacrer pleinement au désenchantement dans ce qu'il y a de plus cru: le chanteur tient son micro dans ses mains jointes et à plat, penche un peu la tête en arrière et affirme d'emblé qu'il ne vient et ne va nulle part, que ça lui indiffère d' être ici ou là puisqu'avoir conçu ses projets d'élévation l'a de toutes les manières coupé de ses racines terrestres, tant et si bien que personne ne l'attend nulle part, qu'il vit dans une incommunicabilité complète et que cela est bien triste, finalement de disparaître à cause qu'on a aimé rêver. L'auditeur français sait pourtant qu'une femme existe, avec des demi sourire mais il comprend qu'en réalité il ne s'est rien passé entre les deux probablement, condamnant le poète à rester dans les hauteurs symboliques et l'esprit de l'Espagne noire et désespérée… Non, il ne s'est rien passé, assurément, il n'a fait que donner sans jamais rien recevoir…. La version française n'est là que pour éviter de brusquer les fleurs bleues de l'autre côté des Pyrénées tout en fournissant le brouillon du vrai poème, qui est évidemment l'espagnol. Voilà probablement en résumé le sens des mystères profonds de l'œuvre de Julio Iglesias qui est le plus grand chanteur poète de tous les temps et qui est probablement assez mal compris considérant l’aporie manifeste de la traduction des grandes œuvres.

Donc pour répondre à la question, nous pouvons affirmer que oui Julio Iglesias nous permet de comprendre de quoi le monde des translittérations poétique est fait mais que non, on ne peut pas comprendre la profondeur de Julio, sous ses apparences superficielles (et constantes ), si l’on ne lit et n’écoute pas Julio tel qu’il s’exprime, dans sa propre langue.

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