1987/10/10

J'ai retrouvé dans mes pauvres affaires des correspondances établies avec un inconnu de bourgogne, où il s'agissait d'échanger des informations au sujet de nos vies respectives avec force illustrations. Quel désastre. Cela date de l'école primaire. Si quelqu'un le retrouve dans le futur je pense que je finirai en prison ainsi que le bourgignon, me suis je dis. Alors j'ai tout jeté. Il faut savoir faire table rase des horreurs du passé. J'ai tout oublié de toutes les manières à part que pour la première fois j'ai couché avec un noir. C'est à dire que la famille d'un correspondant d'Auxerre ne voulait pas qu'un noir en vadrouille dorme sous son toit. Evidemment les profs avaient pensé à moi et à la famille de mon correspondant, comme quoi je n'allais pas faire d'histoire si je devais partager un canapé avec un noir. Il n'était d'ailleurs même pas noirs d'ailleurs mais indien je pense et nous nous étions endormis auprès d'un feu de cheminée. Rien de grave de mon point de vue.

En rentrant du collège j'ai fait un détour pour acheter un nouveau stock de vignettes Panini. Une fois le cahier Panini ouvert et les 5 sachets de figures ouverts également, je suis pris d'une sorte de malaise. Je n'ai rien à faire du football je crois. Je ne nie pas que les résultats du football, que ce soit la première ou la seconde division, sont en soit assez intéressants dès l'instant qu'on les voit affichés à la télévision. A la fin de l'émission de télévision que regarde mon père arrive une longue série d'écrans verdatres où, accompagné d'une voix neutre et d'une musique d'attente qui rebondit tranquillement, on peut voir défiler l'ensemble des résultats des confrontrations du week end. Lille deux, Troyes un. Marseille a fait match null avec Nantes. Toum, toum, ta, ta, toum toum. Strasbourg s'est imposé sur le terrain de Monaco sur une score de trois à un. Et ainsi de suite. Cette totale certitude sur des faits à la fois lointains et établis me calme les nerfs le dimanche soir. Cela signifie que c'est dimanche soir, ce qui constitue en soit un problème, mais également qu'on ne pourra jamais enlever aux complications du lundi à venir, aux mauvaises notes et aux différentes histoires, cette idée que Lille a battu Troyes samedi. C'est établi. Jamais plus dans le futur on ne pourra nier que ces joueurs là, ce soir là, ont battu ces autres joueurs. Il reste que je ne sais rien du football et que je n'ai jamais compris comment aborder les mecs dans la cour pour leur proposer mes vignettes en double. J'en ai un tas haut comme ça. Je n'ai jamais fini un cahier et je ne finirai jamais celui de cette année. Et pourquoi aucun mec ne veut échanger avec moi des vignettes ? Ca tourne toujours court alors que forcément j'ai des vignettes qu'ils n'ont pas. A moins que les vendeurs de vignettes ne vendent en réalité que des lots volontairement déséquilibrés pour alimenter de manière constante l'espoir d'une complétude qui en fait n'arrive presque jamais. Pire encore. On pourrait dire que les lots de vignette panini sont répartis de manière sadique dans des endroits éloignés géographiquement de telle sorte que par exemple les gens d'Auxerre n'ont jamais les vignettes concernant l'équipe de Marseille mais toutes celles de l'équipe de Paris tandis que les gens de Marseille ont toutes celles d'Auxerre mais jamais celles de Marseille et ainsi de suite. Ou un truc comme ça. Alors on se retrouve tous comme des cons avec des empilements infernals de têtes de footballeurs photographié au garde à vous, des têtes qui finissent par ne plus revenir à personne, à force. D'un autre côté je vois bien que les autres mecs procèdent bien à des échanges devant moi. C'est donc bien qu'il y a quelque chose à échanger. Ou alors ils le font pour m'énerver ? Ou alors, je ne sais pas, peut-être qu'il se doutent qu'en fait je ne suis pas vraiment le fils de mes parents mais un être venu d'une autre planête qui a la particularité, au milieu de ses super pouvoirs, de ne rien comprendre aux vignettes panini. Quelle merde les vignettes panini en tout cas.