Je me suis rendu au bureau des orthographes
Le bureau des orthographes est une installation baroque, tordue d'un côté, droite de l'autre, aux couleurs irisées, qui vous montre son dos quand vous croyez qu'elle vous sourit. De loin cela ressemble à un bureau tout ce qu'il y a de plus normal, spécialisé dans la radiologie ou quelque crapulerie dans ce genre, avec un lettrage qui parait sérieux, scientifique au premier abord mais qui se brouille quand on s'approche, comme chez l'opticien, si vous voulez, lorsque le bougre de la science focale vous fait sentir que vous ne voyez pas ce que vous dites voir et qu'en somme vous ne parlez pas la langue que vous pensiez parler. Pourtant vous étiez sûr, plus ou moins, qu'après tout ce temps, vous étiez du genre à parler la langue que vous parliez et que de la sorte vous étiez en mesure d'aligner quelques mots en rapport avec ce que vous pensiez dire. En réalité vous vous mettez le doigt dans l'oeil sans le savoir, profondément aphasique sans avoir encore ouvert la bouche. C'est ainsi, nous sommes tous logés à la même enseigne et il faut que ça saigne.
Commme je m'approchais donc du bureau des orthographes, j'avais comme il se doit, des doutes. Si je devais y aller, dans quel but, si j'allais m'étendre sur la rapport entre le graphème et le phonème et essayer de négocier quelques points supplémentaires qui pourraient me servir par la suite comme habitant officiel de la langue française laquelle se trouve la plus convenable qui soit, commme chacun sait, comme il se doit. Je trainais en réalité les pieds. Pourquoi le bureau des orthographes devait il se trouver sur un plan incliné avec un mécanisme de bascule au milieu sans qu'on comprenne bien où se trouve rééllement le point de bascule ? Entre la guillotine et le bureau des orthographes, il suffit de tendre le cou pour établir une différence. Me disais-je. Autant dire que je n'étais pas mu par un esprit favorable et optimiste.
Pourtant, ce n'était pas si difficile, il suffisait d'y aller pour en avoir le coeur net. Au métro Ségur il n'y a rien. Vous sortez, rien. A droite, rien, à gauche rien enfin c'est à dire que tout est à droite où qu'on se tourne. Mais si vous continuez un peu, tout droit, vous allez tomber sur une pagode chinoise d'un côté, surface vitrée de l'autre et vous saurez que vous avez atteint le bureau des orthographes. Avec les organisations orthographiques il faut ne pas trop se poser de question, seulement accepter et obéir. On te dit, tire la chevillette, la bobinette cherra, tu tires donc la chevillette, la bobinette choit et tu poses pas de questions, sur ce qui doit cheviller, ce qui doit choir, si c'est forclos ou si c'est échu, tu fermes en fait ta gueule et tu t'y plies, toi et ta face de plie. Donc bref la porte n'était pas bien dure à pousser, et je me voyais déjà...
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VOUS VOUS CROYEZ OU ? VOUS NE VOYEZ DONC PAS QUE C'EST INTRANSITIF ICI ?
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Pardon, répondis je, mais je pensais que les verbes du premier groupe, comment dire ...
La dessus je crus bon de sortir ma liste de textes pas finis ou infinis en vue d'une évaluation rapide qui eut ouvert, espérais-je, des droits spéciaux ou je ne sais quoi.
- ETES-VOUS SEULEMENT USITÉ ?
La question eut le mérite de me faire un peu réfléchir. Je regardais mon tas de feuilles tapuscrites, remplies de poux et de poix, d'où dégoulinaient sans doute du pus et des exsudats nombreux et pathologiques. Parlais-je seulement français dans le fond ? Combien de fois il y a longtemps ne m'avait - on pas dit que ce que je venais de dire n'était pas du français ? Et de m'excuser d'avoir offensé quelqu'ancêtre qui eut connut davantage ce qu'était la forme correcte pour non seulement se faire comprendre, ce qui est à la porté des caniches, mais également faire comprendre que c'était bel et bien du français, ce qui n'est pas la porté de chacun. Mettons, tout cela est donc bien vrai. Donc c'est un peu comme si je montrais mon passeport à un flic. Le flic lui, il porte un uniforme, mais il maitrise également le langage flic, ce qui fait de lui un flic complet, authentique, sur le fond comme sur la forme, avec logée dans son arme une vraie une balle faite dans métal dur qui peut traverser n'importe quel organe de mon corps et créer des déviations dans la circulations régulière des flux si mon passeport n'est pas en règle, par exemple. Mettons donc je suis porteur dudit passeport, il y a ma photo dessus et mon nom aussi et aussi par quel trou dans le monde historique je suis passé pour en arriver là finalement seulement voilà mon passeport n'est pour ainsi dire, pas chargé. Il manque quelque chose dans sa forme, parce que je ne suis pas allé le faire vérifier à temps par des authorités ou quelque chose d'autre que je n'ai pas fait, que j'aurais dû faire, si bien que je ne suis pas officiellement la personne qui est décrite sur le document, la photo est celle d'un autre, le trou par lequel je suis entré n'existe plus qu'en puissance et donc à la fin des fins on peut affirmer que je n'exprime pas correctement mon existence. Si je veux monter dans l'avion, je ne peux pas, à moins qu'il s'agisse d'un avion dans lequel j'ai le droit de monter précisément parce que mon passeport n'existe pas ou pas assez. Bien, alors j'en étais à ces réflexions lorsqu'il m'apparut avec une parfaite clarté que mon expression n'était pas française authentiquement, qu'en aucun cas j'eusse pu lire une poésie versifiée à douze pieds à l'ouverture d'un match de football international opposant l'équipe de chez nous contre l'équipe des étrangers et ainsi recevoir l'assentiment des foules parfaitement françaises, qu'en effet je n'étais pas usité du tout, que je n'allais pas rouler comme ça dans la belle mécanique de la syntaxe du Français ni dans l'expression des alternances les plus irrégulières et qu'en somme si même mon articulation phonatoire avec la petite impression marginale qu'elle laissait sans doute, comme n'étant pas celle que ce soit des Verdurins, que ce soit des Guermantes, alors comment osais-je même oser croire que j'allais pouvoir fixer ma parole ainsi dans l'écrit, cette digne sépulture, et la confronter sans honte aux siècles et aux générations de gens authentifiés comme en règle depuis l'aube des Francs et qui auront émergés, triomphants, honorables, d'une forêt d'épineuses dictées où la moindre faute les eut précipité dans l'opprobre, comment osais - je ?
La honte de n'avoir pas tout à fait l'usage de la parole me fit donc opérer un demi tour, c'est à dire un demi tour d'écrivain, un demi tour pas bien net, un peu courbé, avec des sous entendus cachés derrière chaque expression, des regrets, une envie irréaliste d'en découdre avec l'adversité grammatorthographique ou de recoudre plutôt, recoudre tous ces tissus de la matière écrite qui ne sont pas bien attachés les uns avec les autres, hein, c'est comme ça qu'on dit n'est ce pas dans la littérature officiellement enroulée sur elle même, et est ce que je le fais bien ? Ai je les bons doutes d'écrivain ? Alors j'ai envie de dire, que oui, que oui, tout à fait les bons reflexes, je fais bien le job comme on dit dans la bible; car affligé de tous les vices et de l'ensemble des insuffisances providentielles, je tranformerai un jour ma parole en patates prêtes à cuire.