il-y-a-une-solution-à-tout ---- 10 Feb 2025
 

Je me suis rendu au bureau des écrivains

 

Cette fois je ne pouvais plus tenir, je me suis rendu au bureau des écrivains. Le bureau des écrivains est tantôt une baraque à frites tantôt une cabine téléphonique abandonnée et que sais je encore ce qu'ils vont bien pouvoir inventer pour dissuader les écrivains d'aller faire valoir leurs droits.

Je tapai de mon poing d'écrivain ferme sur le rebord de la guérite. Alors quoi, disais-je. N'est ce pas un peu des manières de recevoir les titulaires du rayonnement de la France transmis par l'usage littéraire du français et plus particulièrement de la langue française qui est comme chacun sait la plus rayonnante en tant que telle ?

Personne. IL n'y avait en fait personne.

Juste un petit panneau je reviens tout de suite. Et si les gens ont envie de faire pipi ? Ils font comment ? Ils pissent directement sur une bite de la place de la Madeleine. Installer le bureau des écrivains à l'endroit même où toutes choses égales par ailleurs on enregistre les droits de passage de tous ceux qui veulent aller faire pipi sans dévoiler la réalité de leur petite affaire à ceux qui, écrivains ou pas, se rendraient à l'Opéra en calèche ou sans calèche, c'est à mon avis limite-limite mais si par dessus le marché le service commercial n'est pas non plus assuré ou bien comme je le voyais, seulement pas intermittence, c'est une infamie. Mais nous autres écrivains, nous sommes habitués.

Arrive une dame avec un pot de fleur et un sandouiche, tandis qu'acoudé je guettais, un oeil sur la montre, un oeil sur la porte. Je suis à vous dans cinq minutes, elle dit. Pourquoi cinq minutes, je demande. Je vous dirai dans cinq minutes, elle dit, machant déjà son sandouiche tout en faisant glisser son doigt à la surface de son téléphone sortable. Si ça se voit tant que ça que je suis écrivain, me disais-je, s'il en est ainsi que cette femme n'aura pas considéré une seule seconde que je puisse être un homme complet avec son lot d'acide urique et de respectabilité et que je vinsse pour une affaire urgente sur le chemin de ma banque ? J'examinai mon vêtement, inquiet d'un trou, d'une tache que ce soit sur le pantalon à carreau en laine, sur le haut de survetement assorti ou peut être sur mes tennis parfaitement blanches avec leurs lacets violets noués dans les règles de l'art ? mais non, rien à signaler. Je ne porte même pas de lunettes car à peine si j'ouvre un livre de loin en loin et encore si cela m'arrive j'ai rapidement mal à la tête avec les histoires des autres, je saute les passages avec les descriptions, j'abrège les dialogues, je vais à l'essentiel, je ne me laisse pas faire, juste je repère certains mots que je pourrais réutiliser moi même dans un de mes livres, des mots utiles, des mots sans exagérations, des formes susceptibles de mener à bien une histoire qui va de A à B comme un scarabée, un scarAàB, si vous voulez. Ainsi les histoires où il y a des calèches. Je prends calèche et je me tire. Ainsi les histoires où il y a des femmes cyclothymiques. Je prends cyclothymique et je me tire mais sans la femme car c'est trop compliqué. On peut décrire la calèche, on peut dire qu'elle cahotait sur le pavé de manière cyclothymique en direction des Halles, que Gérard de Nerval monte dedans sans Sylvie, sans un sous, sans projet et puis copier coller aussi un poème ou deux en changeant un peu le rythme ou bien transmuter le bazar en style indirect libre en vue d'assortir tout cela avec le haut de mon survêtement car je l'ai vu faire dans les histoires où des types font démarrer des voitures de sport devant chez unetelle qu'ils quittent pour toujours en faisant crisser le gravier sous le pneus et voilà nous sommes arrivés.

  • C'est à quel sujet ? demande la dame

Je ne sais pas combien de temps s'était écoulé car j'étais plongé dans mes rêveries, les nouilles étant en promotion dans le magasin où d'habitude je me pourvois ce qui, considérant les métros et les autres rendez vous que je pourrais avoir si les rêveries se poursuivaient ainsi en cette veille de pont national, m'exposait autant que sur la voie sommitale d'un huit mille à trois heures de l'après midi avec le gros nuage gris à droite, les mains gelés, le mou dans la corde, les précipices tout autour etc

  • je n'irai pas par quatre chemins. Je suis venu percevoir mon salaire.

Elle me dit, d'un air distrait, que le bureau était en train de fermer malheureusment. Que j'avais juste le temps de pisser avant d'aller me coucher, si je voulais, et qu'il fallait mieux pour moi me réjouir d'avoir au moins ce temps là, à 22h54, de finir mon manuscrit directement ici en échange de quoi elle ne me demanderait même pas une pièce

En effet, quarante trois minutes le trajet comprenant un poète célèbre, une ascension de l'Everest, une rubrique mode, plusieurs voyages en calèche et le droit d'aller faire pipi gratos plutôt que d'écouter un opéra forcément râté. Je ne vais pas me plaindre, la soirée ne fait que terminer.

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