polar mal expliqué ---- 30 Oct 2021
 

Dans les enfers de Denver.

 

Je folatrais, à vrai dire, dans les allées des palais royal, à la recherche d'un lieu où exaucer mon désir puis je me souvins du siècle où je m'étais égaré. J'obliquai donc vers l'avenue de l'opéra repris le bus 95 puis le RER puis un avion supra sonique vers les États-Unis d'Amérique.

Rien ne m'avait prédisposé à visiter Denver et encore moins le Colorado. L'aéroport de Denver, en revanche, n'était pas sans évoquer une certaine ambiance piquante. D'abord on distingue de l'édifice comme une vague rangée de cônes depuis le hublot lorsque l'avion est en début d'approche mais avec un peu de chance, selon l'orientation du vent, le dernier virage découvre un étonnant alignement de typis blancs et cela est réjouissant.

Le vent avait été favorable ce matin là et je me rendis donc réjouis vers la buvette du prénommé Enzo, pour y déguster un croissant véritable assorti d'un jus d'orange pressé. Il n'est désormais plus du tout exagéré de dire que les croissants véritables ne se trouvent plus sous le sabot d'un cheval. À Paris il est vain d'en commander tant la pâte est inconsistante à coup sûr. À ma connaissance seule la buvette Chez Enzo de l'aéroport de Denver est en mesure de produire un croissant bien bâti, qui soit à la fois moelleux comme une baguette et tendre comme une brioche. Mais enfin la question n'est pas exactement là. Je ne suis pas homme à me laisser pourrir un voyage transatlantique par la question de la dame du dessus, de l'opportunité pour elle de sentir l'odeur du gaz en général et celle qui proviendrait de chez moi en particulier, parce que j'aurais été importuné par le suicide d'un vieil ami, parce que j'aurais omis de tourner correctement le bouton de la gazinière en partant pour le Palais Royal et ainsi de suite, soit la défenestration de l'ami, la dernière poignée de main, les insectes écrasés sur le pare brise de la Lancia louée en Italie, le clignotant qui faisait tac toc tac toc, mon dernier thé avant de sortir, le bouton du gaz c'est oui c'est non peut être, des papillons rouges éclatés dans la cour de son immeuble etc bref je ne suis pas un gars torturé. À peine étais-je installé devant mon croissant véritable, à une table en formica d'époque de la buvette chez Enzo que je sentis entre mes pieds un objet gênant. Oh voici un cahier vert, un peu écorné, oh voici qu'une page manuscrite s'ouvre d'un coup de talon. Des écrits tracés à la main, un jus d'oranges fraîches, dans un aéroport, autant dire une amplitude de sensations digne de fleurs fraichement coupées sur une tombe.

Mais attendez cueillette, serait-ce du français avec des ratures et des taches ? je vis en effet des taches de vieillesse sur le papier et des taches de jeunesse sur l'encre, de couleur bleutée, un peu pâle, formant des allées de chaotiques peupliers survolant des tortues flanquées de pattes de mouche soit rien qui n'évoquât une quelconque édition princeps d'un éventuel ouvrage de Lucrece, plutôt un cahier d'écolier et plutôt un écolier du fond de la classe, rang du milieu, sans aucun doute. Seulement comme je feuilletai les premières pages et commençai la lecture, on attendait le passager John Broustol à la porte d'embarquement touché coulé, je devinais que le passager Broustol devait avoir seulement changé de position dans son lit king size coloradesque et que c'était plutôt une écoliere, mon écolier, avec ses manières indirectes de tracer les lignes et son inflammation juvénile de points d'interrogation.

car voici que je lis

Chère maman,

Je voudrais que tu comprennes. Ce n'est pas du tout ce que tu crois. C'est cet homme, ce monstre, ce skieur de cirque. Il s'est tiré lui même une balle dans le pied. C'est lui qui m'a dit que j'étais la plus belle et qu'il voulait vivre pour toujours avec moi puis qui m'a dit que je devrais mieux partir de sa maison et emmener mes enfants car les enfants le gênaient pour mener sa petite vie de clown célibataire avec une copine so sexy qui était la plus belle à ce qu'il disait et c'est lui encore qui est descendu avec moi à la cave ce matin là, en slip, pour me montrer le fusil de chasse que son plouc de père lui avait légué, pendant que je l'arrosais abondamment de reproches sur son comportement indigne, et c'est lui qui m'a fait volte face, le fusil ouvert en deux pointé dans ma direction, lui qui m'a raconté tout une salade sur le pays de la liberté, comme quoi personne n'était obligé quand aucun contrat n'était signé, comme quoi si sa proposition de partir voir ailleurs avec les enfants ça m'allait pas ben c'est pareil, et que voici les cartouches du fusil, and "would you like to take a walk in the park", qu'il se met à chantonner avec une voix de fausset, ça m'a rendue folle, qu'on avait qu'à se la jouer comme au far West, que je n'avais qu'à lui donner rendez vous devant l'église avec le ci devant fusil pour régler les compte et que pour instant il allait retourner à la salle de bain pour finir de se raser, qu'il espérait qu'à la fin de l'opération je serai repartie si possible pour toujours plutôt que lui tirer dessus dans le dos comme avec tous les autres mecs apparemment. Ce monstre maman ! Tu te rends compte ???? je suis restée prostrée je peux pas dire combien de temps, comme s'il m'avait tiré dessus. Je
baignais dans mes larmes comme si c'était une marre de sang, maman, à rager contre ce monstre, ce mufle, ce goujat, ce malapris, ce rustre qui n'a aucune idée d'hollywood et du chic, qui a osé agresser une femme honnête, qui s'est installé dans ma vie seulement pour profiter de la situation d'une femme qui a réussi tandis que lui, le skieur de ses dames, le playboys du circuit des skieurs à mèches blondes, il n'était rien, rien, rien du tout, je t'assure maman et en plus il ose me tirer dessus avec ses petites chansons et ses insinuations méchantes. Personne n'a été aussi méchant avec moi. Il est remonté vers sa salle de bain comme ça en slip, en faisant traîner ses pantoufles sur les marches de l'escalier en collimason, comme si rien ne s'était passé ni maintenant ni avant, comme ça, tranquille, tandis que j'étais tétanisée et dans une colère folle tout à la fois . Comment ce pauvre type pouvait m'accuser de ne pas savoir chanter ? C'était le plus grave, à ce moment là en plus. Quel outrage sans nom. Mais j'ai été forte maman. Je suis resté digne. J'ai remonté les marches une à une en m'appuyant sur le fusil avec lequel il venait de m'humilier. Et je suis arrivé dans la salle de bain, où je vis cette ordure en train de tapoter une lotion sur ses joues glabres, une lotion parmi trois ou quatre, je te jure, ce miserable pantin possédait trois ou quatre lotions aftershave ????? rangée comme des parfums de cocotte, le long d'une longue étagère dorée où ne manquait plus que les petite ampoules blanches des loges des folies bergères, tu te souviens maman ? comme j'étais la plus belle avant d'entrer en scène mais là c'était juste un pauvre plouc du Colorado décidé à paraître une plus grande vedette que moi et tourner sa tête aux trois lotions avant moi, recevoir avant moi le flash du journaliste mondain dépêché sur le bord de la piste, profiter de ma célébrité à moi pour m'éclipser, moi, dans un éclair, comme ça, d'un claquement de doigts, tac, tac, aux oubliettes la vieille étoile frenchy, je t'assure, cette ignominie... alors moi aussi je me suis mise à chanter, les dents serrées, "the look of loooove is in your eyes" et il a tourné la tête avec un peu moins de désinvolture et là, là je les ai bien vu ses yeux de petit serpent sournois s'avancer vers moi et me bousculer et c'est là que, au moment où il bafouillait un "-but Claudine, are you... high?" que j'ai vu son bras reptilien dégoutant s'avancer vers moi en ondulant et déclencher le coup de fusil, ce monstre, et se mettre à hurler comme une bête qu'il était et se mettre aussi à defourailler ses tripes blanchâtres sur le carrelage éclaboussé de sang avant de tomber au sol dans un grognement. Plus rien ensuite. Pour une fois il avait vraiment l'air d'un insecte, entre le papillon et l'araignée. Shalom, le roi du slalom, signé ta Claudine forever la plus belle.

Tu vois, maman, la somme des horreurs que cet homme m'aura fait endurer. Jusqu'à tenter de m'assassiner, comme ça, par inadvertance, comme je l'ai appris par la suite ensuite lorsque la famille a porté plainte contre MOI !!! Je ne sais pas bien ce que c'est l'inadvertance mais cela décrit assez bien ce qui m'est arrivé... Maman j'espère que tu comprends.

Malheureusement je vis bien que le reste de la lettre manquait. Je fourrais cela dans la poche de mon cabas et pensais à autre chose. Mal écrit, me disais-je, en sifflant le fond de mon verre. Je saluais Enzo de la main et me dirigeais vers la porte d'embarquement du vol pour Paris.

← Je veux ma Momon

Avant: Comment cuisiner les gens vaccinés ? Apres: L'homme qui avait interpelé sa femme pour lui indiquer avoir procédé à la réduction des enfants a cessé d'exister.