Et le prix Nobel de Littérature alors ?
Je ne connais personne de plus qualifié que moi pour recevoir le prix Nobel de Littérature. Pourtant cette année encore, le jury n’a pas pensé à moi, ni même effleuré l’idée que je puisse en être, si j’en crois les couinements de portes entendus ici et là. Pas même un coup de fil, rien.
J’ai longtemps pensé à ce que je ferais du prix Nobel de Littérature, avec cette crainte que cela pourrait me résoudre à écrire au moins un livre avec au moins une ambiance littéraire à l’intérieur. Mais je m’étais repris dans mon projet, j’étais résolu à tenir bon, à ne pas lâcher prise sous la morsure du prix et des inévitables agressions sociales, à me contenter de manger l’argent et à fermer toutes les portes à tous les insectes qui viendraient chez moi pour me serrer la pince, le roi, sa femme, une dinde et le petit prince.
Car en somme il n’y aurait aucune honte à recevoir le prix Nobel de littérature quand on a écrit aucun livre. Le fait de n’avoir écrit aucun livre est même la marque des grands écrivains de ce siècle. Je sais que je ne suis pas seul, j’ai même des confrères pour lesquels je ressens sans peine une forme pernicieuse de jalousie, mais je suis le meilleur dans ce domaine, il suffit de ne pas lire mes livres pour le comprendre. Cela, il est certain que le jury du Prix Nobel de littérature le sait, mais voilà, par pusillanimité sans doute, ce jury me préfère automatiquement des écrivains d’ambiance, de ces gens qui construisent patiemment des oeuvres emplies d’humanité, de société, de discours et tout cela qui ne procure plus aucune ombre sous aucun soleil. A l’inverse des écrivains comme moi et surtout moi à vrai dire, qui manifestent tous azimuts un basculement quantique de l’expression jusqu’à devenir tout à la fois et le soleil et l’ombre ainsi que tous les atomes de l’expression, dans un mouvement parfaitement indiscernable de l’immobilité, cela dérange les habitudes, bien évidemment. Il y a bien eu comme un frémissement quand ce musicien des campagnes d’amérique fut couronné pour avoir si bien accompagné sa guitare de garnitures frétillantes de mots, mais voilà, comme il fallait s’y attendre, l’Olympe a senti qu’en ses murs éthérés voguaient des dissidences bien trop favorables aux êtres de vapeurs, lesquels sont, sur les bords de l’Etna comme ceux du Mississippi, les seules incarnations que le vide peut engager contre lui même.
Mes soutiens par chance ne m’ont pas téléphoné non plus, serait-ce pour m’encourager ou pour se placer en bonne position dans la liste de mes possibles seconds dispendieux en cas de victoire, alors je me couche le cœur léger et sans regrets.