Le presque pape est mort
C’est avec la plus grande de peine que je déplore la perte du quasi pape.
D’ailleurs comme préalable à cet éloge funèbre, il faut convenir d’un terme pour désigner un pape vivant ayant laché les manettes pour la chaise longue. Chaise longue, all day long, comme dit la chanson.
Il y a dans les soixante quinze manières de désigner ce genre de pape.
- pape émérite ( terme retenu par la boite )
- pape de secours
- pape en second
- pape au cas où
- pape en plus
- pape en sus
- pape des coulisses
- pape en loucedé
- pape des jardins
- pape parpaing
- pape sur le papier
- pape de papier
- pape sous l’eau
- doublure de pape
- pape en double file
- pape immobile
- presque pape
- quasi pape
- pape en couloir
- sous pape
- pape crevé
- pape pété
- pape sans bulle ( degazéifié )
- pape dégonflé
- pape en galère
- pape en sursis
- pape en suspens
- pape au hangar
- pape hagard
- pape périphérique
- pape atmosphérique
- pape cosmétique
- pape en sous main
- pape sous marin
- pape plaqué
- pape transgenre
- pape inverti
- pape couverture
- pape enseveli
- pape tapisserie
- pape plante verte
- pape d’apparat
- simili pape
- pape conseil
- pape senior
- pape branleur
- pape la glande
- pape coup de mou
- pape de trop
- pape bras cassé
- pape décalqué
- pape sur la sortie
- pape en pente douce
- pape sur les rotules
- pape en roue libre
- pape bis
- bout de pape
- rebus de pape
- reste de pape
- pape sédimentaire
- pape patrimonial
- pape pour la photo
- pape parti en vrille
- pape rangé des voitures
- doppelpape
- pape de collection
- pape en queue de peloton
- pape liminaire
- pape qui tient la chandelle
- pape dans les cordes
- pape au tapis
Voilà qui donne un peu de marge pour désigner l’unique héros de ce reportage exclusif sur les quasi faits et presques gestes de la doublure de pape logée jusqu’à avant hier dans un palace trois étoiles, norme vaticanes, à quelques jets d’hostie du Saint Siège.
Voyager à Rome n’est plus ce que c’était. La densité en pape a certes doublé en quelques années mais pendant ce temps le nombre de touristes qui auraient la moindre notion de l’immémorielle grandeur de la ville s’est réduit à quelques veilles personnes qui peinent désormais à relier toutes seules le colisée au thermes de Caracala, par exemple. Cela fait environ deux siècles que tous les touristes de Rome disent cela, alors je ne vais non plus me priver de ce must de la culture partie en voyage. Considérant donc que plus personne n’en a plus à rien à cirer, de tous ces bazars de pierre qui empêchent surtout les livreurs d’armani de circuler librement d’un bourgeois à l’autre, il est temps de révéler la vraie vie du pape de rechange telle qu’aperçue sur place par mes soins l’an dernier alors que je préparais un documentaire sur Venise en passant par l’Ethiopie parce que les vols depuis Strasbourg étaient, du fait de ce détour, meilleurs marchés. Il faudra que je parle une autre fois de Pasolini quoi que je ne sois pas resté longtemps dans l’aerogare.
Donc Venise était annulé pour une sombre histoire et la déception me conduit à trainer dans les rues du Vatican, si l’on peut dire. Pour déprimer il n’y a pas pire endroit que les rues du Vatican. Généralement il y a toujours un truc qui traine par terre ou bien une poubelle, quelque chose dans quoi donner des coups de pieds pour se défaire des noeuds de son coeur mais dans ces rues là il n’y a rien, hormis quelques prêtres cela s’entend. Donc au fond des jardins, derrière un fontaine rocaille, j’ai aperçu une corde à linge tendue entre deux grands bâtiments, comportant quelques marcels blancs, des chaussettes, des grands slip de soie, et chose curieuse, une sorte de grand patelot rouge pendu tête en bas dans le vide. Mais non mais non, m’étais je repris, il n’y a rien de surprenant à cela car au prix que coute des fringues pareilles aucun pape, fut il detroné, ne verrait ses effets fourrés dans une ces machines à air soufflé qui vous élime la plus charnue des hermines en deux trois passages. Et je m’étais souvenu de ce que le pape en cours de validité était flanqué d’un pape périmé, logé ad vitam aeternam comme dit la pub, dans une modeste annexe sise à un jet de Saint Pierre.
C’est ainsi qu’avait debuté mon enquète sur le pape au second degré.
Donc pour la faire courte, disons que la sécurité de la baraque laisse à désirer. A l’arrière il y a un barillet à simple clenche pour clore la porte de service par laquelle on sort les poubelles, le linge mouillé, les épluchures de légumes cultivés dans le potager de l’autre côté de la batisse, par où entrent les légumes frais, le linge propre ainsi que les cardinaux qui passent dire bonjour. Il m’a suffit d’observer les aller et venue du linge et des épluchures pour trouver le bon moment pour glisser mon tournevis de précision dans les crantages mal fichus. Tac le cadenas vatican, hop le papaparrazo est dans l’enclos.
De là je peux affirmer les éléments suivants.
Benoit logeait au premier étage dans une modeste chambre de 60 mètres carrés avec seulement un lit à baldaquin, une petite bibliothèque, une table de travail, un verre pour le dentier, posé sur une console renaissance en bois de rose avec entrelacs peints ( léger accident à senestre ) et des penderies dont les boutons dorés sont huilés et frottés tous les jours car Benoit souffrait d’hyperacousie, vraie raison de son renoncerment. On ne pouvait pas huiler les avions. Ni faire taire les foules de dévots qui le prennaient une fois sur deux pour un Jean Paul Deux en goguette.
Le matin, bulle dans le lit jusqu’à des 8 ou 9 heures. Coup de cloche. Le personnel entre avec les mules marron et le reste du costume post papal, correctement plié, avec de l’amidon sur toutes les parties qui méritent bonne tenue. Régulièrement le pape dégringolé peste en allemand contre le pape en service pour cette raison qu’il peut quant à lui chausser les mules rouges plutôt que marron et loger au plus proche du Saint des Saints, au lieu de quoi ce chien de misèricorde se balade sans la pourpre, en godillots argentins dans un HLM de conception vulgaire sis à la sortie du bled. Le petit déjeuner est servi au rez de jardin. Un ascenceur avec un crucifix huilé descend directement dans la salle des refections papales et cardinales sans ne faire aucun bruit. Benoit s’avance à petits pas jusqu’à sa brioche, qu’il aime légèrement dorée sur le dessus, pour accompagner son café au lait dans le style germanique. J’ai gouté tandis que ces vioques mal voyants effectuaient de lents virages avec leur robes. Poua. C’est pas du tout un café italien auquel on aurait ajouté un peu de lait en émulsion de telle sorte à former un cappucino mais vraiment un café allongé torrefié à l’étranger c’est à dire avec les pieds et là dessus du lait versé directement dans le café, sans réfléchir deux secondes. Le journal du Vatican est posé sur la nappe blanche pour le cas où Benoit voudrait tremper son museau dans son café tout en lisant les nouvelles locales. Une nouvelle par kilomètre parcouru environ, suffisent à remplir le journal quotidien, lequel est imprimé à l’ancienne dans une sous pente de radio Vatican, avec une presse à main composée avec des blocs en bois de bout, ce qui suffit largement, ont dit tous les papes jusqu’à Benoit, lequel a suggéré quant à lui un atelier manuscrit sur parchemin pour le stage de réhabilitation de prêtres pédo, sans succès. J’ai demandé. Eh bien le représentant en linotypes a essayé de vendre une de ses machines de composition pendant 17 ans avant la conversion numérique des bibles et autres publication annexes mais rien n’y a fait. Des papes têtus. Ensuite il faut meubler jusqu’à douze heures quinze lorsqu’il est permis par la bonne règle monacale de déjeuner, seul ou accompagné car on est pas à la trappe non plus. Beaucoup de cardinaux sont en voyage d’affaires dans le coin et n’osent pas aller dans Rome à midi pour se taper une pizza comme tout le monde, tant il est vrai qu’un cardinal en jogging blanc, lunette de soleil et sneaker tendance reste un cardinal facile à repérer pour un certain nombre de touristes spécialisés dans les affaires de Dieu, très au courant de chaque physionomie grace au jeu des vignettes papini selon les règles duquel on s’échange des têtes de dignitaires en tenu d’apparat pour former des collections complète, division par division, diocèse par diocèse. Alors donc comme certain caridinaux ont eu vent de ce que certains jours Benoit est assez bien luné pour son décrocher son corniculus en faveur d’un commensal qui aurait eu ses faveurs autour d’une soupe d’oignons du jardin, bien que ce soit plutôt une légende Urbain, comme ils disent, les prélats locaux, cela fait que parfois deux voire trois cardinaux se trouvent à table au côtés de Benoit, qui mange face au refectoire, dos au mur ainsi que font les responsables de la mafia, sans que j’aie bien compris pourquoi. Les plats arrivent ensemble, remontent en quelque sorte la nef jusqu’à l’abside soutenu dans les airs par des serviteurs au pas régulier et certain, portant livrée complète et chaussons étudiés pour ne pas heurter l’acoustimaniaque en chef, puis sont ensuite déposés avec une courbette discrète mais marquée juste devant le ou les cardinaux réunis pour le potage. Tout le problème de l’humeur réside dans la matiné du pape relegué. Après un passage par la chapelle qui jouxte les toilettes, ou ce dernier aura effectué une ou deux stations selon la thématique de prière qui correspond au calendrier ou à autre chose quand on ne trouve pas mieux, il remonte dans sa chambre pour parcourir les titres de ses livres avec ses yeux quelque peu las. En effet, Benoit semble partagé. D’un côté il a dit à tout le monde que toute l’agitation ne lui allait pas et qu’il vallait mieux qu’il se concentre sur ce qu’il fait le mieux, soit la reflexion sur des concepts épineux de la Foi, mais de l’autre il se rend bien compte qu’au bout de toutes ces années les mots croisés ne forment plus les beaux mystères d’autrefois. Il voulait être l’écrivain des concepts et le voilà réduit à conceptualiser l’écrivain, semble t il. Depuis la doublure de l’épais rideau damassé, il me faisait l’impression du gars sur le point de balancer sa collection de modèles réduits unique au monde par la fenêtre et lui à la suite des modèles. Quelle peine il me faisait. Mais enfin voilà, le pape supplément chantilly découvre parfois dans ses papiers un truc malin auquel il n’avait pas pensé encore, quelque idée relationnelle transversale qui met en lumière les enseignements d’un concile conclu il y a mille ans avec l’impossibilité de propager des anathèmes par visio conférence, et le voilà qui s’atable avec quelques livres et un papier pour tenter un truc jusqu’à midi. Manchmal klappt, manchmal nicht. Le dernier jour ou je l’ai vu, il y avait un sale alignement de planètes. Deux cardinaux à déjeuner, les mots croisés pas finis, une migraine apparemment liée à l’insuffisance cardiaque qui allait l’emporter quelques semaines plus tard, à quoi s’était ajouté le bruit épouvantable du rasoir sur son cou au moment de la toilette effectué par un interimaire sicilien de la pire espèce tandis que le barbier expérimenté était parti en congés - séminaire - balnéraire à l’étranger, tout cela mis à bout à bout eh bien mon pape était sous pression, cassant, oecuménique comme un raton laveur, dissert comme une carpe, arrangeant comme un cactus et pour couronner le tout dénué de toute forme d’appetit que ce soit pour le potage, pour les accompagnements boulanger du potage ou pour les emincés de dindes au caviar flanqués d’écrevisses qui devaient s’ensuivre, pour le fromage fumé des pouilles, pour le sorbet aux graines d’edelweiss et même pour la guimauve artisanale à l’eau de rose qu’il machouillait toujours avec grand coeur à la fin de tous les repas, au grand bonheur de sa troupe ancilliaire, enfin récompensée de ses efforts feutrés par un éclair de joie dans le regard généralement réptilien dudit requin des abimes ( l’expression est du webmaster de radio vatican que j’avais interrogé dans la sous pente ). Ce jour là, les deux cardinaux respectivement originaire du Burundi et du Lesotho ne cotoyèrent que remarques sèches et prière disruptive. Toutes leurs tentatives pour défendre leur cause panafricaine était perdues d’avance. J’ai vu l’anguille sous roche manoeuvrer ainsi deux ou trois fois avec les importuns. D’abord un regard en l’air, puis j’interrompts le discours du commensal qui chuchotte des suggestions relatives aux liens qui nous unissent pour toujours avec mes deux mains bagousées jointes dans une prière en glissando tranquille, mais assez pentu quand même, la prière, pour qui n’aurait pas le sens du tac au tac quand le MC bascule sur la langue latine, soit quatre vingt pourcent des cardinaux, incapables de rentrer sans le flow papal, obligé de laisser dire en hochant la tête, ponctuant les pirouettes théologiques d’adverbes latins tout faits. On voit bien pourquoi on finit pape en général, je m’étais dit, car dès qu’il s’agit de vraiment envoyer de la Foi en mode impro, avec les bonnes cadences, les gestes codifiés vers les chaines en or, le chapelet et le reste, tout cela bien boutonné jusqu’au cou mais sans trop se dandiner non plus, on repére les vrais bolosses à la quatrième strophe et en vrai le tri est vite fait, comme on dit.
Quand la boite à 2000 ans d’existence c’est normal que même le sous directeur soit pas content de ses mots croisés tout en étant capable d’allumer n’importe quel arriviste de l’organigramme qui ne serait pas parfaitement au clair avec la tradition.
Et en gros c’est à peu près tout ce que Benoit faisait de ses journées. La télévision ne l’intéressait pas. Que les livres les plus compliqués possibles avec beaucoup de théorie dedans, un peu la guimauve du dessert, assez peu les visites, en raison du risque d’éveiller l’intérêt mondain du pape gras de l’autre côté du jardin. Plutôt être réincarné que bavarder avec le mielleux sud américain, en dehors des mises en scène officielles s’entend, voilà le fond de la pensée benoite.
Lassé par ce petit jeu de cache cache au monastère mon oeil, je suis reparti par le chemin des pelures d’oignon avec sous le bras quelques photographies étonnantes dont je ferai peut être quelque chose si Dieu me prête vie malgré tout.