necro-poesie ---- 12 Jan 2021
 

Hubert Auriol et tout est fini

 

C'est avec la plus immense consternation qu'on ne peut que déplorer l'existence et la mort subsequente d'un héro de la bicyclette à moteur dans un lit. Comment expliquer en premier lieu qu'un homme tel que Hubert Auriol ait pu à ce point exister, avec autant de permanence, autant de ténacité ? Il faut rappeler à tous ceux qui comme moi se trouvent là avec une mémoire davantage embarrassée de souvenirs superficiels greffés sur des sujets inexistants plutôt que chargée d'orages bouillonnants issus de lectures universelles, que cet homme est à l'art du voyage ce que la guerre du Peloponnèse est la manière de la faire. C'est la raison principale de son principe d'existence et de permanence. C'est gravé dans la sensibilité collective, même si vous l'ignoriez. Je me permets de vous l'apprendre. Après lui il ne fut plus possible d'effectuer une promenade dans le désert nord africain sans penser à son grand sourire carnassier filant à des vitesses inconnues au dessus d'un bolide petaradant. Ou pour le dire autrement c'est en raison d'Hubert Auriol qu'est venue cette pratique très répandue de nos jours de ne plus se figurer seulement la possibilité d'aller faire une courte promenade juste comme ça, à deux pâtés de maisons de chez soi, à un endroit encore mal connu, bien que très proche, juste pour le plaisir d'être gratuit, au monde, sous la même voûte d'étoiles entassés au dessus de son bonnet, casquette ou chapeau qu'au milieu du Sahel avec un frêle grelot. Chacun sait maintenant que les immensités les plus sauvages peuvent se parcourir à 200 kilomètres à l'heure sans un regard pour le moindre chardon ni la plus petite des musaraignes. Le désert pourtant comporte toutes sortes de bêtes d'un centimètre ou deux qui sont propres à dévaler les ondulations sableuses formées par le vent et ce devalement est susceptible quant à lui de produire des crissements aussi bruyants que des orages pour l'âme de celui qui, après s'être promis de rentrer chez lui à la fin de sa promenade à trois pâtés de maisons, se retrouve finalement au milieu de nulle part à la tombée de la nuit, seul, ivre de paysages parcourus immobile, sans plus de perspectives que des idées à la fois immenses et incommunicables. Grâce à Hubert Auriol cela n'arrive plus. Je sais que toutes les musaraignes du désert ont pliés bagages et font maintenant le tapin dans des documentaires, agréablement logées dans des petites cabanes en dur avec l'eau et l'électricité. Je sais que le jeune homme de mon quartier qui petarade sur sa bicyclette à moteur et fait des roues arrières pleines de grâce ne souhaite plus devenir Hubert Auriol ni depuceler l'humanité avec des traversées immarcessibles. Car grâce à des êtres premiers tels qu'Hubert Auriol nous sommes entrés dans l'histoire très haute, dans des espaces psychiques où seul l'intellect peut encore voyager et manier des changements de vitesse, décoller sur des dunes et retomber plus loin, formant là des événements qui demeureraient invisibles pour Thucydide.

← Je veux ma Momon

Avant: Faut il écouter Placido Domingo ? Apres: Comment faire pour être sûr de passer une retraite confortable ?