ignorance-active ---- 01 Jul 2023
 

Pourquoi Thelonious Monk ?

 

Le jazz est évidemment haissable dès lors qu’il est sorti de ce moment historique où des opprimés avaient décidé de rebattre les cartes distribuées par les oppresseurs. Il est haissable parce que ses formes ne sont plus comprises depuis longtemps ni dans les flux populaires et plus tellement nouvelles quant à la création musicale. Cela nous fait une musique classique à pas cher qu’on peut diffuser sans risquer de passer soi même pour le monsieur rasoir qui voudrait n’écouter que du clavecin. Enfin, du moins c’est ce que j’imagine, car je ne connais personne qui écoute du Jazz. Qui peuvent ils être, ces gens qui écoutent du Jazz ? Ils sortent un disque de Jazz, s’assoient et écoutent en silence comme si c’était vraiment de la musique conçue pour l'église ? C’est stupéfiant. Cependant, il faut concéder au genre, concession que je suis contraint de faire en ce que je suis parti prenante de cette contradiction, qu’il permet l’ouverture d’esprit par sa seule tradition de l’improvisation. L’improvision on va dire que cela consiste à pousser des murs qu’on avait promis de laisser à leur place pour des raisons d’intelligibilité. C’est la seule raison valable de jouer du Jazz probablement, surtout quand on n’en écoute pas. Ai-je déjà dit qu'il était préférable de ne jamais écouter de Jazz ? Oui, je le crois. J'aimerais que ce soit clair. Quand bien même cette ouverture d'esprit serait elle la seule raison d'écouter le Jazz, ou d'envisager le Jazz disons, l' expérience d'un modeste auditeur se résume généralement à des suites de réponses musicales à des questions harmoniques ou rythmiques qui ne bougent pas ces murs d’un centimètre. Car cet art particulier du brouillon est bien difficile, c’est certain, et il l’est d’autant plus que rien d’extérieur au petit monde des masturbateurs du Jazz ne vient plus guère troubler l’exercice. Les musiciens du dit classique en effet ne se prêtent plus guère à l’exercice ou du moins ne le font ils pas en public. Alors le jazzman de province peut sans crainte s’adonner à sa petite sophistique sans craindre jamais les fureurs du ciel. Tu vas pas finir sourd non, mon Roger, à te branler les sons de cette manière ? Fureur celeste qui ne viendra pas donc. Voilà, en étant honnête avec soi même et pour autant qu’on possède des oreilles expérimentées, qui ne peut ne pas voir la misère dans tous ces brouillons ?

Toutefois, s'il y a une question disons qu'elle ne repose pas sur l’écoute de l'improvisation mais sur sa production. Produire des brouillons, faire le geste qui tend maladroitement vers une bonne idée, cela porte une valeur. Improductif mais utile pour comprendre intimement de quoi la matière est faite. Et dans ce sens, je trouve légitime de tenir pour plus capables de musique ceux qui savent tenir une improvisation qui s’effondre dans des espaces certes inintéressants que ceux qui interprètent à merveille des oeuvres du répertoire de manière exclusive. Car les premiers seront confrontés à la réalité dans ce qu’elle a de plus cruelle ( Existe t il d’ailleurs vraiment une forme d’art qui ne se confronterait pas à la réalité la plus cruelle ? Soit dit en passant ). Tous ces praticiens des cosmiques ondes, petits ou grands, surfant comme ils peuvent sur des vagues trop grandes pour eux, ils sont donc mes amis. Simplement, voilà, la vie est courte, pourquoi se préoccuper de brouillons ? A moins que ce soit des brouillons provenant de compositeurs notables, tel que le vieux Bach en train d’aspirer la cervelle de ses auditeurs, semble t il, je ne vois aucune raison d’écouter les improvisateurs.

Maintenant c’est comme pour le fromage anglais, il y a des forcément des exceptions. Il y a des gens qui parviennent à quelque chose comme la transmission d’un geste unique qui vaut davantage que la musique qu’ils produisent en le faisant. Prenons Thelonious Monk. Je ne connais pas vraiment d’autre exemple aussi frappant. Il y a bien Bill Evans mais en moins saississant ( lui c’est exposition classiques de thèmes avec ses variations tralala du Jazz mais cette fois avec des variations d’une grande richesse et précision harmonique , réalisées avec un touché magistral qui nous rapproche d’une écriture savante ). Si je comprends donc il y a ceux qui préfèraient la musique de Monk en pillules plutôt qu’à grands coups de matraque administrés par ce monstre. Ils lisent même peut-être les partitions qui ont été éditées en vue de polir un peu l’interprétation avec leur amis ? Eh bien je fais partie de ceux qui ne veulent que les coups de matraque et pas vraiment la musique de Monk, celle qui est écrite sur le disque ou dans la partition. Je doute du reste que Monk ait jamais voulu autre chose que d’expérimenter sa manière de jouer sa musique depuis l’intérieur plutot que d’en livrer les contours extérieurs. Je ne suis pas clair ? Sans doute, car je suis chiffonné par cette musique étrange. C’est du punk délicat à mon sens, car punk dans les détails de l’improvisation, pas du tout comme oeuvre finie. L’homme aura eu une carrière d’une trentaine d’année j'imagine mais l’oeuvre finie, soit les thèmes de Monk, tiennent en quelques dizaines de mesures probablement. Ses improvisations en revanche, sont à jamais insolubles dans la mémoire; déjouant toutes les attentes et tous les réflexes, elles débordent l’espace de leur propre execution. Particulièrement cette association conçue simultanément et en dépit du bon sens du piano comme instrument à percussion et comme instrument harmonique par excellence cela demeure un mystère qui mérite à lui seul d’écouter ces brouillons. Il semble, quoi que je n'aie pas poussé la loin la recherche, que cet homme possédait véritablement les références classiques et qu'il a délibérément choisi de les retourner comme des chaussettes. M'est avis que c'est un coup de génie cette alliance du bon et du mauvais gout.
Du moins c’est que j’entends. Felonious Plonk, comme on dit. On reconnait cette manière Monkienne au fait qu’en essayant la même chose soi même on ne produit que des horreurs, tandis que le musicien original, lui, parce qu’il a ajouté une seconde de silence ici, entre deux accords rebelles, là une transition totalement off beat, pour clore un mouvement qui n’allait nulle part, il arrive quelque part, à un endroit inattendu. Un rapprochement avec les bulles de savons est possible. Monk fabrique des bulles de savon multicolores à grands coups de marteau. Cela ne dure pas, c’est vrai mais cela suffit pour caler une porte de la conscience (ou deux).

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