Faut il lire les mémoires de Saint Simon ou bien le journal de Pierre Bergounioux ?
On partira du principe que c’est bien de lire plutôt que se gratter les couilles en baillant aux corneilles.
On ne sait jamais. Lire peut éventuellement apporter de l’eau à son moulin, réformer le regard porté que ce soit aux couilles ou aux corneilles.
C’est sûr, c’est plus facile de manger une pizza devant un film qu’avec un livre ouvert. On peut bien sûr poser le livre sur un lutrin et glisser la pizza par en dessous mais parfois ce n’est pas si intelligent d’investir dans des lutrins quand on est pas sûr sûr sûr de vouloir continuer son entraînement à la lecture. Pour tourner les pages avoir les doigts gras n’est pas très commode non plus. Il vaut mieux donc manger avant de débuter son entrainement à la lecture des gros livres.
Pour en revenir à la question des lectures elle mêmes, la fréquentation des fictions n’est peut-être toujours une excellente idée. La plupart des gens qui font métier d’écrire des livres ont en eux quelque chose qu’ils jugent si particulier qu’ils estiment préférable de délayer leur particularité dans des histoires ou des contextes imaginaires. Il s’avère, pour en avoir lu quelque uns, que c’est parfois chose vraie, qu’ils leur faille effectivement, à ces gens touchés par la plus improbable des sensibilités, la faire se diluer, leur super sensibilité, en quelque manière, dans un système de comparaisons et d’équivalences symboliques, à la manière des prêtres qui doivent impérativement user de paraboles pour que le tout un chacun soit confronté directement à une expérience de pensée, privé qu’il est en général, le tout en chien chien, dans son ignorance veule, des concepts les plus secrets de l’Eglise. Toutefois, conseil d’amis, c’est rarement le cas qu’il faille écrire 'Autant en emporte Zarathoustra' au prétexte qu'on ne pouvait pas faire autrement, qu’il fallait vraiment déployer qui chameaux qui montagnes entre autres accessoires grandioses. En réalité ce qui se produit est souvent inverse. Parce que les gens qui font le métier d’écrire ne possèdent précisement rien de particulier dans leur appréhension du merdier ou vous vous trouvez ainsi que moi, ils ajoutent des miroirs dans leur vie et à force je crois qu’ils finissent par y sentir comme une augmentation de sa superficie. Moment clé de la décoration d’intérieurs qui autorise au port des foulards historiés pour aller boire des verres dans des bars. A la fin de ce genre de lectures, il devient assez évident qu’en plus d’avoir installé des miroirs là où la décrépitude aurait suffit, tout ce qui aurait pu faire matière, même pauvre, à été aplati jusqu’à la dernière aspérité et vous voilà réduit à étouffer dans des installations mesquines, le couteau sous la gorge, tenu de passer dans toutes les pieces, une à une et de baisser la tête dans les endroits désignés par le guide suprême.
Nous autres les écrivains dénués de tout propos, savons repérer ces gens là, en raison de notre absence de propos, justement.
Pour faire bonne mesure du temps qui manque, lecteur qui n’as pas le loisir des jours, je propose plutôt de te vautrer dans la lecture la plus inutile qui soit, du moins en apparence. Soit une lecture inventée par des auteurs qui n’auraient pas pris leurs distances avec les affreuses affaires des affres temporelles et puis pour autant n’auraient pas choisi non plus de raconter leur petite vie. Ce qui désigne en gros le genre Mémoire. Je pose ma mémoire ici, elle n’est pas tout à fait la mienne. Je signale le contours des choses, j’y mets un peu de discernement mais faites en ce que vous en voudrez. Dans le rayon particulier de ce magasin spécialisé en choses bricolées je ne vois pas non plus grande presse. L’ignorance peut tout.
C’est peut être une bonne idée de lire les Mémoires de Saint Simon ? Je me souviens assez bien de ce qu’on devait lire à un moment donné les mémoires de Saint Simon afin d’être vraiment quelqu’un mais j’ai l’impression que cette pression particulière s’est perdue. Je date cette perte de pression dans les soupapes de la culture à la fin des années 90 du dernier siècle quand Alain Juppé, sortant ou entrant un prison pour une sombre affaire de corruption, oh le pauvre homme, affirmait devant des journalistes avec sa modestie habituelle qu’il se réjouissait d’avoir enfin de temps de lire les mémoires de Saint Simon. Depuis tout le monde a du se dire que c’est de la lecture pour les pourris qui veulent faire le malin.
Saint Simon c’était donc ce gars qui s’était mis en tête de faire remonter à la surface la mémoire finalement assez futile de ses contemporains aristocrates réputés prestigieux. D’un autre côté, il y a Pierre Bergounioux, qui, à l’inverse, fait remonter à la surface la mémoire tout aussi futile des cultures paysannes réputées sans prestige. Comment faire son choix ? On peut bien entendu lire les deux, mais est ce bien raisonnable ? Est ce qu’on doit tirer au sort ? Pile les rois, face les ploucs ? C’est pas de la tarte surtout quand on compare le poids des oeuvres en question avec l’équivalent en pizza et en films. Ces engins de 3000 pages, c’est sans doute plusieurs mois peinard à zoner d’une image à l’autre. Il faut vraiment être cinglé du bulbe pour entreprendre de telles lectures non ? Et pourquoi je lis ces phrases au juste ? N’ai je pas au moins des chambres à airs à étrangler sur des terrains vagues boueux à la sortie du village, entre le cimetière et la déchetterie ?
Car en effet, il faut l’admettre, le profit est maigre pour qui spécule. Maintenant pour celui qui ne spécule pas, celui qui est inutile à tout et inconvenant pour chacun, la lecture de Saint Simon ou de Bergounioux en gélules corréziennes, c’est l’assurance de se faire lentement intoxiquer par des gaz au bout du compte pas hilarants du tout. La fin totale de tout étant maintenant acquise, il s’agit seulement de choisir sa pente. D’un côté le naufrage de la noblesse, plat de viande unique, bien saignante, où des millions de misérables sont piétinés dans la marge, tandis que dans le même temps des crétins enfarinés se comparent le nombril avec force ruses et sous entendus, de l’autre un plat de lentille unique, avec une longue abrasion de la cuillère faite dans le bois du pays dit réel au fond d’une histoire sans bords donc sans lendemains. Ce qu’il peut y avoir entre ces deux mondes, peu importe tant qu’on a les bornes et qu’on s’entête, à essayer de voir surnager ces deux réalités incomparables qui définissent le pays où l’on a la manie du français. Tu vas t’en taper une bonne tranche de honte que ce soit en lisant de quoi sont faits les liens de subordination au pays des nobles, toujours là quelque part, dans le dernier des petits bureaux, sous la férule du plus petit des cheffaillons. Ou bien tu vas la sentir dégouliner, la sueur tellurique, à l’évocation des pléthores de trous du cul du monde qui transmirent et qui transmirent encore, la façon de vivre sans façon.
En somme c’est indécidable. Tranchons. Il y a des crèmes pour le jour, il y en a pour la nuit. Tout dépend donc de quelle peau on veut être, pour se protéger de quel environnement. Il me semble qu’à Paris, où les ducs auto proclamés et les bouffons tiennent encore conseil, on trouvera du fruit à la crème campagnarde tandis qu’au terminus du bout de la ligne allô où sont ils tous partis on pourra se badigeonner d’intrigues toutes relatives sur la couleur des pommades du roi.