grand-sédimental ---- 20 Nov 2020
 

L'histoire de ma famille en résumé

 

Je recycle ici l'image que je me fais d'un passé émaillé de choix qui ne pouvaient être que mauvais, soit parce qu'ils étaient effectivement mauvais soit que mon jugement ait été orienté par des gens qui ne pouvaient être que mauvais eux mêmes dans leurs choix. S'il fallait trouver une définition des pauvres de base ce serait celle de gens qui se mettent ensemble pour appliquer toutes les recettes susceptibles de deservir leurs propres intérêts et cela par qu'ils méconnaissent simplement l'existence même d'intérêts qui puissent être considérés comme dépassant le lendemain et le confort immédiat. Lorsqu'on vit dans l'inconfort, matériel ou moral, évidemment, c'est une conséquence bien logique. En quoi cette définition n'est pas spécialement réservée aux pauvres mais à l'ensemble des crétins qui vivent comme ils pensent devoir, sans ombre portée.

Donc je regarde mon passeport et je peux constater qu'il est écrit en Français et que je suis français. Aucun de mes grand parents n'a possédé de passeport. Tous n'ont pas eu de carte d'identité. C'est aussi à cela qu'on reconnait les pauvres, comme dit Celine, à ce que leur mort n'intéresse personne, a fortiori leur existence donc, ajouterais-je. La plupart de mes aieux sont nés à l'étranger et sont arrivés, fuyant la misère et les gouverments fascistes, comme des moins que rien dans les provinces agricoles du sud. Ils virent passer la seconde guerre mondiale avec des yeux lointains d'enfant provinciaux qui n'étaient là que pour suivre leurs parents désireux de moins mourrir de faim. Ils se dépéchèrent d'oublier leur langues péjorées pour se conformer aux usages locaux, découvrirent bientôt des concepts plus grands eux tels que les congés payés et le droit à la retraite et furent bien en aise de se reproduire sur place, donnant la vie à quelques immigrés provinciaux de la deuxième génération qui furent quant à eux pris dans le changement brusque d'époque qui coupa tout rapport lent et constant à toute chose. Les voilà, leurs fils, éjecté comme bien d'autres dans les alentours de Paris sans avoir reçu ni l'éducation des choses lentes des campagnes mourrantes ni l'éducation des choses rapides des villes nouvelles. Toutefois cela n'est pas fâcheux de n'avoir aucune idée claire sur rien puisque c'était cela le sens des choses pronées par les élites française au moment des glorieuses richesses d'après guerre. Et ou en étaient mes parents en mai 68 ? Au même point d'incompréhension que pouvait l'être leurs parents à peine alphabétisés quand arrivèrent les troupes allemandes. Passé ce léger sursaut dans la marche crétine des choses, épisode sans trace familliale, chacun eut le loisir de continuer à brasser son vide existentiel ici ou là sans se préoccuper de rien. C'est à ce moment là que je suis introduit dans l'histoire de France. Ni comme roi, ni comme sujet mais plutôt comme un corps étranger qui ne comprend rien de ce qui arrive, ni de près, ni de loin. Pour une raison sans doute purement contextuelle, par la faute à pas de chance, je me serai trouvé au milieu d'autres banlieusards d'origines variées et aux horizons le plus souvent très moyens mais pour ma part encore plus paumé que le dernier des paumés. Mauvais en tout, bon à rien, risible. Par chance, 20 ans plus tard tout est devenu bien plus clair. Les raisons qui me permettent de séparer la petite histoire d'un paumé des raisons liées à la grande histoire de la sociopathologie française sont devenues très nettes. Tout à la fois convié par mes proches à me sentir de trop, par l'ensemble des institutions méritocrates à être un médiocre et le tout en étant le contemporain d'un monde où les jeunes qui voudraient un travail ne peuvent avoir un travail qu'à condition d'avoir l'expérience du travail, comme expliquaient les vieux en poste, l'affaire était pour le moins mal engagée. Par d'heureux concours de circonstance j'ai fini par comprendre qu'une réalité existait à la fois au delà du bagne famillial et scolaire, qu'à force de travail et de recherches il était encore possible, de déméler les choses pour soi. Et qu'y avait il donc à déméler ? Simplement, en visitant d'autres familles, qu'il pouvait exister des liens de parenté au sens où ces liens seraient des relations et non des modes d'attachement oscillant entre le sadisme et le masochisme, en observant brièvement des êtres de mon âge capables de fonctionner correctement sans être ni tout à fait cons ni donner l'impression qu'ils vont se pendre sous deux jours, en découvrant enfin les foutaises immenses de la société à la mode française. C'est sur ce dernier point que se rejoignent les histoires. C'est l'histoire des métèques qui arrivent dans ce pays dit de lui meme qu'il a inventé l'égalité et l'accueil. Oh le beau programme ... Mais allons tout de suite à la conclusion. Quelle vraie différence peut-il exister entre arriver à Paris depuis la banlieue avec quelques livres lus et des idées pas bien claires ou bien être arrivé d'un pays pauvre au fond d'une province française une main devant une main derrière ? Pas très grande je pense. Des différences ensuite tandis qu'on essaie d'appartenir ? J'ai des doutes à ce sujet. Si vous trouvez par exemple un premier travail quelque peu intellectuel, que vous rencontrez par hasard une jeune fille logée dans une famille très bourgeoise, que la famille, vous fréquentant, pense que vous devez être donc le gardien ou quelque chose d'approchant, cela n'a rien de surprenant. C'est la règle. Ces gens là redoutent d'être surpris et tout le système est bien en place pour qu'aucun fils de nième génération d'immigré ne puisse s'introduire dans leur bain, à moins bien sûr que ce fils soit comique ou quelque chose se rapprochant du bouffon. Ou bien il y a cet autre exemple de la jeune fille cotoyée dans un stage professionnel bourgeois, celle qui apprenait le clavecin, qui semblait bien sympathique, qui bénéficiait comme vous du coupe file au Louvre, qui montait dans le même bus, qui un jour fit semblant de ne pas vous voir en raison probablement de votre petit air de banlieue ... c'est la règle aussi. Alors certes n'ai je pas recueilli les témoignages des sous-fifres de ma famille lorsqu'ils se sont présentés au bout du champ des métayers français et je n'ai jamais fait l'effort non plus d'aller les recueillir chez d'autres descendants plus soudés mais je me figure très bien l'ambiance et je vois parfaitement le parallèle. Que saillissent aujourd'hui les articulations profondément xénophobes et féodales de la société français au moment où de mon côté je me figure nettement les richochets successifs réalisés par mes prédécesseurs à la surface roide de ce pays désagréable, voilà qui forme maintenant un mouvement conjoint, une trajectoire observable, la description d'une fuite qui possède sa propre énergie, son carburant naturel, un ensemble chorégraphique malheureux et maladroit que le temps, 70 ans environ, aura mis au jour. Aujourd'hui c'est le dernier ricochet, je ricoche sur cette mauvaise flotte et je pars. Je les laisse les français, dans leur marasme indémerdable. Qu'ils se débrouille avec leur grands discours, leur télévision qui montre des migrants se faire castagner par des flics sur des terrains boueux, leurs escrocs d'homme politique à tout jamais présent, qui débitent toute la journée des idioties infantilisantes

← Je veux ma Momon

Avant: Conjuguons matraquer Apres: Valéry Giscard D'Estaing est mourru